06-05-2021
Népal
900
4900
5800
AD
7
CAF Grenoble
0
 
En avril / mai, j'ai participé à une expé amateur au Tilicho, un  7000 dans la chaîne de l'Annapurna. Nous avons échoué autour des 5800 m , une centaine de mètres au-dessus du C1.
 
Je partage ici mon retour d'expérience non pas à travers un CR linéaire sur le déroulé de la course mais plutôt part quelques remarques, réflexion autour de certains points de cette expédition.
 
 
L'équipe
Le leader et initiateur de cette expé était  Arnaud Pasquer - https://www.pasquer-voyages.com/ - du CAF de Grenoble. Deux 8000 à son actif - Cho Oyu et Manaslu - , un échec au Dhaulagiri et le Broad Peak en point de mire poput initialement l'été 2021. 2 autres membres étaient initiateur CAF de Grenoble et le reste des amateurs + ou - éclairés du CAF de Grenoble, Paris et un transfuge FFME
==> J'ai eu connaissance de cette expé à travers un post de Arnaud sur CampToCamp qui cherchait un 8ème passager. 8 est un bon nombre. Cela permet de répartir les tâches sur 2 équipes et de ne pas tout remettre en cause en cas de défection d'1 ou de plusieurs membres de groupe.  
==> Nous avons fait qques sorties ensemble sur 2020/2021 histoire de faire connaissance ou réviser apprendre des trucs ensemble. L'ambiance était vraiment top entre nous.et il n'y a pas eu de tension . Arnaud avait été très vigilant la dessus, n'hésitant pas écarter des personnes bien meilleures qu'il ne sentait pas...pour préserver l'ambiance. 
 
Planning initial ( qui forcément n'a cessé de bouger)
Nous ne sommes pas tous arrivés en même temps au Népal mais en gros
- Quarantaine sur place  1 semaine 
- Trek acclimatation : ~ 1 semaine
- Marche d'approche ~ 1 semaine
- Camp de Base  ~ 3 semaines
- Retour : 4 jours 
 
 
La préparation
Arnaud a passé plusieurs mois voir année à préparer ce projet (Disons que son projet initial était de coupler le Tilicho en groupe avec 2 autres 7000 avec Emilie  pour finir par le Broad Peak en solo)  
==> Arnaud a un peu galéré pour trouver des info sur le Tilicho. Il n'y a pas beaucoup de littératures dessus. Un article dans un vieux Vertical, Paulo Grobel l'aurait proposé en expé commercial il y a qques années et  il est allé jusqu'à appeler le dernier summiter ( Bielecki en 2017) pour récupérer des info sur l'itinéraire.
==>  Il faut sélectionner l'agence locale qui va assurer la logistique jusqu'au BC, il faut trouver une équipe dispo aux dates arrêtées, il faut acheter du matos, le faire livrer .... 
 
Fret et envoi de matos
120 Kg de matos a été envoyé en fret en avance de phase. Des tentes pour 8 personnes pour les camps d'altitudes +  des cordes de progression ( 4  x 60 m en 6.3 / 6.9 mm) + 200 m de corde fixe + de la ferraille ( piton, broche, ancre à neige ...etc) + des lyophilisés pour 8 personnes pour 8 j en altitude ...
==> Trop de surpoids pour tout passer en bagage en soute et acheter sur place est trop risqué tant en terme de disponibilité que de qualité
==> Prévoir 1 à 2 mois à l'avance pour l'envoi en Fret et  ~ 10 € / Kg de fret
 
Préparation physique
Arnaud avait fixé comme objectif ~ 10 000 m de dénivelé / mois dans les mois qui précédaient le départ. 
==> J'ai tâché de remplir cet objectif avec 2 à 3 séances de footing hebdomadaire en côte ( de 600 à 900 m de D+ / séance) + des sorties ski le we à 1200/1500 m de D+.. C'était insuffisant .
 
Trek d'acclimatation
J'ai fait un trek d'acclimatation de 1 semaine avant l'expé. Dans le massif du Langtang, à ~  120 Km au nord de Katmandou. J'ai démarré à Dunshe (2200m), puis monté tranquillement en 3 jours jusqu'à 4300 m (Lac Gosainkunda). 
J'ai passé 4 nuits dans un lodge pour moi tout seul et en ai profité pour faire qques ballades vers  4700
==>  C'est un moyen relativement confortable et économique (autour des 20/30 USD/jour) pour démarrer son acclimatation. Et me parait presque indispensable. Aurélien n'a pu faire la moindre acclimatation avant le départ. J'ai l'impression qu'il lui a fallu ~ 10 j pour combler son retard.   
 
Marche d'approche
Nous avons démarré la marche d'approche  à ~ 2500 m . Le BC étant situé à 4900 m , nous l'avons atteint en 8 jours de marche avec une journée de repos à 3500 m à Manang 
==> L'idée est de prendre ~ 400 m / jour de D+ sans s'énerver . Et si un jour , tu es contraint d'en prendre 800m, ben tu prévois une journée de repos derrière. L'idéal est aussi de dormir à une altitude plus basse que le point culminant de la journée. Genre faire un détour pour prendre +300 m avant de revenir dormir plus bas
 
Logistique BC
L'agence locale assure la logistique au camp de base. Au delà, c'est ton pb. Elle gère l'acheminement du matos jusqu'au BC à travers jeep, mule, porteur ...,  elle installe le BC  - tente mess, tente individuelle - , gère les repas et l'approvisionnement pendant tous le séjour ...etc etc.  2 voir 3 personnes étaient présentes en permanence au BC pour nous ( 8 personnes) et régulièrement des porteurs faisaient des A/R avec la vallée afin de monter de la nourriture  .
==> Ne pas mégoter sur le choix de l'agence locale car on passe énormément de temps au BC et qu'on dépend d'eux. Bien manger, avoir une tente individuelle, un saut d'eau chaude pour la douche ... tout cela joue pas mal sur le moral. Qd il fait mauvais, tu restes au BC, qd il fait beau, tu restes au BC en attendant que le manteau se stabilise. qd tu passes x jours en altitude, t'en passes x au BC pour récupérer,... Bref, j'ai lu près d'une dizaine de bouquins au BC 
==> cout agence ~ 4000 € / pers ; inclus transport / logistique du BC + permis ( ~ 500 usd / pers pour un 7000) + repas et lodge sur marche d'approche + qques nuits à Katmandou  + avion retour Jomson / Kathmandou ( finalement 20h de bus !!)
 
itinéraire et progression
 
L'idée initiale était de monter globalement corde tendue et d'équiper en corde fixe, deux petits raidillons sous le C1 et quelque part avant le C2. 
Finalement la 1er montée au C1 s'est faite globalement en libre ou en tirant dans les ressauts sur des cordes fixes installées depuis on ne sait trop quand par on ne sait trop qui. Un peu craignos mais qd tu es crevé, tu te dis que les statistiques sont avec toi. Avec toi mais pas avec tous. Mounir s'est rattrapé limite lorsque qu'un piton a laché et qu'il est parti en déséquilibre. On a alors tiré une longueur qu'il a d'ailleurs équipé - piton; friend, pieu à neige. La fois d'après, Arnaud et Aurélien ont équipé la sortie en corde fixe  afin de sécuriser et faciliter les montées suivantes où on serait plus chargé. 
Par contre, la suite C1/C2 globalement prévue corde tendue s'est avérée trop difficile ou engagée pour nous. A nouveau du mixte et des parties en neiges dures. Il aurait fallu tirer des longueurs ou mettre en place des cordes fixes quasi tout du long. Mais tout cela est très long, t'es en altitude, t'es chargé, t'as froid  (~ 3 h pour équiper 150 m de corde fixe dans du 45/50°). Bref t'avances pas, ce qui explique qu'on ne soit pas allé plus haut.
 
Météo, routeur 
 
 Un routeur nous alimentait tous les jours depuis la France avec les prévisions météo à 5 j au Tilicho. En gros  BC à 4900 ~ -9° / C1 à 5700 ~ -12° / C2 à 6300, -18° / Sommet à 7100 ~-23. On a aussi eu entre 80 /100 cm de neige en cumulé en à peine 3 semaines au BC dont 60 cm dès le 3ième jour qui nous a un peu pénalisé. 
==> Avoir un routeur semble une condition nécessaire ...mais pas suffisante de réussite  
==> coût ~ 500 € / pour la durée de l'expé
 
Communication
Un téléphone in reach nous permettait de recevoir les info météo tous les jours par SMS. Le cas échéant il aurait également permis de déclencher les secours.
Nous avions également un jeu de Talki pour les échanges entre le BC et les camps supérieurs. Bien pratique pour remonter des info type météo, condition de la voie; matos à prévoir pour l'équipe du lendemain... etc etc 
 
Santé , acclimatation, médoc
Nous avions une pharmacie très complète pour traiter MAM/œdème ou engelure . Aspirine, diamox, corticoïde ... rien n'a servi. 
Pablo a pris du diamox en préventif tous les jours dès 3500 m mais c'est le seul. Le diamox facilite l'acclimatation mais à également un effet masquant qui peut s'avérer dangereux à la montée. Il se portait bien ...mais les autres aussi.
Me concernant, j'ai l'impression qu'il m'a fallu ~ 1 semaine au BC pour m'y sentir acclimaté. En dépit du trek d'acclimatation et de la marche d'approche. Au préalable, j'avais des sortes de halètement de jour comme de nuit qui se déclenchaient de manière complétement impromptue, même sans effort. Et typiquement, je ne me suis jamais senti acclimaté au delà du BC. J'ai le sentiment d'avoir passé des heures en montant au C1 à 180 pulsion/minutes à devoir faire des poses toutes les 10" pour faire baisser le rythme cardiaque. 
Régulièrement, les soirs; on se faisait un tour de table sur notre état de santé et notre ressenti.   
 
Philippe s'est fait une engelure légère ayant dû enlever ses gants 2 ou 3 fois pour mettre son machard . Pas grand chose à faire  hormis attendre 4 à 6 semaines avec 2 phalanges noircis 
 
Plus grave, un porteur a fait un œdème pulmonaire qques jours avant qu'on débarque au BC. Les autres porteurs ont dû le redescendre en urgence à dos d'homme, de mule, de jeep de 4900 à 2500 où il est resté 10 j en observation à l'hôpital. Comme quoi même les locaux habitués à ce type d'effort ou d'altitude ne sont pas à l'abris et doivent aussi respecter les paliers ( ce qu'ils ne peuvent pas toujours faire je suppose sous pression de l'agence j!!)   
 
Equipement 
Chaussure : j'avais des G2 de chez Sportiva comme les 3/4 des personnes.  Un autre avait des 6000 Phanton de Scarpa et deux autres des Everest de chez Millet.
==> perso, j'ai été bien content de mes G2. Ceux en Everest ont apprécié la chaleur mais regretté le manque de précision dans les passages un peu rocheux.
Duvet: on avait tous des duvets affichant des températures conforts entre -25° et -40°, genre Thor de Valandré. Les plus chanceux avaient même deux duvets , l'un qui restait au BC et l'autre pour les camps supérieurs.
 
 
Si c'était à refaire
1/ choix du sommet
J'ai été grisé par le côté 7000 et ne me  suis quasi pas renseigné sur l'objectif. Lorsque débouchant du col, j'ai vu la face devant moi, j'ai été impressionné et me suis dit que je n'allais pas faire grande chose. Après en s'approchant, tu te rends compte que c'est nettement moins raide et qu'il y a moyen de bricoler un peu.  Ceci dit, cela restait un objectif trop difficile pour moi et globalement pour l'équipe je pense. Le Tilicho cumulait 2 pb pou moi. La haute altitude et une difficulté estimée à un bon AD ( dixit Bielecki)
 ==> A refaire, je potasserai beaucoup plus l'objectif avant de m'engager. Et je commencerai par écarter un des 2 pb . Soit un 7000 type F ou PD où tu progresses sans pb en corde tendu, soit du AD mais un 6000. 
 
2/Moralement.
Je pense que cela se travaille. On passe des heures dans un duvet, on a souvent froid, on est sale, humide ... bref ça use. L'habitude de  bivouacs dans les Alpes été comme hivers doit te permettre de mieux supporter ces petits inconforts quotidiens et te permettre de garder plus de fraîcheur d'esprit et d'enthousiasme, nécessaire pour aller au bout
 
 
 
3/ Physiquement
J'ai le sentiment avoir eu des difficultés à m'acclimater.  On n'est pas tous égaux devant l'altitude mais j'étais celui qui s'en sortait le moins bien de l'équipe.   
La dessus, il m'aurait fallu arriver également nettement plus entraîné. Je me suis trouvé le moins bon de l'équipe. Il me manquait du fond. Genre des sorties longues de ski - 8 à 10 h de ski - , enchaînées sur plusieurs jours, des sorties vélo de  4/ 5 h.....
 
 
Le repère est ~ 100 m / j ( notamment pour le jour du sommet). 100 mètre /h , t'es dans la norme , en dessus t'es un avion de chasse, en dessous, tu fais 1/2 tour.
 
4/Stratégie
Equiper en altitude c'est très long et il ne faut pas compter le faire tout le long, voir sur 40/50 % de l'itinéraire. 2 stratégies a mon avis
==> soit on t'installe une corde fixe  de A à Z sur lequel, tu viens mettre ta poulie 
==> soit tu est capable de monter en libre ou corde tendue sur 90% de la voie. Si ce n'est pas le cas ( comme ici) , il vaut mieux se trouver un autre objectif.    
 
 
Après relativisons et malgré la petite désillusion, ne boudons pas notre plaisir. Isolé 3 semaines au milieux des Annapurna a crapahuter sur une montagne, ca reste une expérience extraordinaire, tant dans les paysages que dans les émotions (bonnes ou mauvaises) traversées.