07-08-2021
Ecrins
700
D
6h
1

 

Au lendemain d'une Madier sud au goût d’après-midi soldes à la Part-Dieu, qui ne fit qu'attiser mon ochlophobie à grands coups d'attentes d'1h au(x !) relais et d'explosion horaire, nous visions en ce samedi matin une cime nettement moins fréquentée malgré un rocher réputé excellent et une situation géographique rêvée ; la Tête du Rouget, déjà conquise plusieurs fois cette année au camp. "Samedi matin" est une précision importante, une dégradation pluvio-orageuse étant prévue pour le milieu d'après-midi. Aussi une joyeuse émulation naquit naturellement dans la cordée, plus par amour d'un certain confort (du genre, ne pas prendre la foudre sur une arête) que par le déchaînement soudain d'une âme de sportif.

 

Le pilier Chèze cochait toutes les cases sur le cahier des charges ; approche, course et descente plutôt rapides, difficultés modérées, rocher et itinéraire d'intérêt… C’est donc la perspective de 350m de jolie escalade, dont seulement 120m de difficultés sur un beau pilier rouge visible depuis le bivouac, qui nous tira du duvet pour un départ vers 7h sous un ciel tacheté de quelques nuages gris. Je n’ai malheureusement que peu le sens du timing et, si la période eut été propice à afficher une forme olympique, je ne fis que suivre Antoine à bonne distance, tirant la langue, tentant vainement de mettre en rythme mes jambes avec les 3kg de semoule de la veille colmatés dans mon estomac. Mon prévenant camarade, à défaut de me tailler un sentier digne de ce nom dans les éboulis dégueulasses de l’approche, me tailla des marches tout à fait appréciables dans le névé subsistant au pied de la face, et c’est ainsi que nous nous présentâmes à l’attaque, 1h30 après le départ du bivouac ; pas une minute de gagnée sur le topo. Les nuages et le vent, eux, n’avaient pas perdu la moindre seconde dans leur montée en puissance.

 

Après quinze minutes d’encordement, de déballage de ferraille et autres marquages de territoire sur terrasses, je me lançai entre deux bourrasques à l’attaque de la première longueur louvoyante dans un joli dièdre, bientôt suivi par Antoine qui à son tour s’élança dans une partie plus raide mais fort prisue du pilier, en ascendance vers la droite, sur un rocher rouge d’anthologie, jusqu’au relais situé au pied du passage difficile de la voie ; une fissure verticale de quelques mètres côtée 5b. Sentant un regain d’énergie par rapport à l’approche, je franchis la fissure en escalade libre, d’une traite, agile comme un chat, fort comme un bœuf, sentant qu’à présent les plus grandes parois des Alpes ne me feront plus peur ! Avant de me dire que, peut-être, les bacs à disposition pour les deux mains et les marches pour les pieds rendaient surtout la cotation très exagérée, et que les plus grandes parois des Alpes attendraient sans doute quelques temps encore. Antoine passa la fissure sans forcer et me rejoignit pour m’annoncer qu’il ne s’arrêterait dorénavant qu’en cas de passage difficile ou de porte-matériels vides.

 

La suite fût en effet plus roulante quoique toujours raide, et après avoir grelotté sous les attaques du vent de sud-ouest de plus en plus violentes le temps que mon compagnon déroule les 50m de corde, je décollai pour ne reprendre la tête qu’au point d’inflexion où le pilier devient arête, et où l’escalade ne devient que quelques pas de III+ au milieu de II/III. Une section certes dénuée de difficultés, mais où la progression devient jouissive car se déroulant sur un rocher absolument parfait, que ce soit par sa solidité ou son grain, un caractère pourtant rare sur des sections peu raides d’escalade, à fortiori dans les Ecrins. Me laissant prendre au jeu, et le mot n’est pas choisi au hasard dans cet environnement, définition physique de « ludique », j’accélérai, allant dans les dernières dizaines de mètres jusque courir, sprinter, bondir, … Pour m’apercevoir que derrière moi, la corde ne se tendait absolument pas, et qu’Antoine me suivait tranquillement tout en épluchant sa carotte et en lisant le topo pour la descente.

 

L’allure de notre cordée étant allée crescendo durant la voie, nous arrivâmes au sommet à 11h10, 2h20 seulement après l’attaque, une vraie satisfaction compte tenu du vent toujours plus fort et des nuages réellement menaçants qui formaient à présent un vrai plafond, et prenaient même les sommets voisins, nous laissant craindre un brouillard à même de bien compliquer la descente qui se déroulait à vue par l’arête N. Il n’en fût rien. Antoine semblant très volontaire pour ouvrir les rappels, je le laissai avec plaisir pester les pieds dans la neige contre les cordes qui semblaient avoir lancé entre elles un concours (voire une collaboration) des nœuds les plus originaux. Ramenées par le vent comme des boomerangs, nous assistâmes comme un jury après chaque lancer à tous leurs efforts pour combiner difficulté, technicité et esthétisme. J’éprouvai une légère appréhension à l’idée que mon compère craque complètement, coupe la corde par représailles et finisse en désescaladant. A nouveau, il n’en fût rien, et grâce à sa patience, notre motivation à rentrer au sec, et une descente fort bien balisée et évidente, nous ne mîmes que 2h à redescendre au refuge.

 

Refuge où nous pûmes récupérer nos affaires déposées par précaution à l’abri de la pluie le matin même. Nous accordant une bonne demi-heure de pause casse croûte et de bouclage de sac, nous repartîmes ensuite frais comme des gardons en direction du parking, plaignant entre nous les malheureux qui montaient sous un ciel et des grondements de plus en plus menaçants, dont certains à une allure annihilant tout espoir de les voir arriver au sec. Nous accordâmes le droit au ciel de se déverser au moment précis d’ouvrir la voiture, et c’est sous des trombes d’eau que nous commençâmes notre long retour sur Lyon, un retour ponctué de commentateurs radios survoltés et d’un Antoine totalement déchaîné, hystérique à l’annonce de la victoire de notre glorieuse nation à l’épreuve hommes de Volley-ball des JO.