29-10-2022
Les Calanques
TD
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C'est un itinéraire qui tape dans l'œil. Certains comptes-rendus le décrivent comme une ligne incroyable, à parcourir absolument. Il n'en fallait pas plus pour attirer notre attention et après quelques années à y penser, c'était devenu pour nous un véritable mythe. Peu importe la promesse, pourvu qu'on ai l'ivresse ! Je vous propose aujourd'hui une odyssée vers les tréfonds... 
 
Le voyage débute sur le plateau de Castelvieil, qui domine la calanque d'En vau, en formant une véritable muraille qui la sépare de la haute mer. Quelques arbres et broussailles s'y développent, prenant racines dans un terrain aride fait de rochers entassés. Profitant de ce weekend de changement d'heure, nous avons pu partir tôt tout en profitant d'un soleil déjà haut. Devant nous, 2 cordées nous devancent au relais d'un premier rappel. Olivier espérait de la solitude, je sens sa déception. Sans doute eux aussi, puisque magnanime ils nous proposent de passer les premiers. Le sourire retrouvé, c'est sans perdre de temps qu'Olivier s'élance au bout de la corde, dans une course vers les bas-fonds. A la recherche d'Eurydice. 
 
Les 3 premiers rappels s'enchaînent sans difficulté. Le cadre est véritablement grandiose, plein gaz entre ciel et mer. Mais plus nous descendons, et plus l'endroit nous impressionne. La falaise devient plus verticale, les vires et les réchappes possibles se font de plus en plus rares, jusqu'à disparaître totalement. Nous descendons le long d'un immense portail, au pied duquel serpente un bras de mer d'un bleu profond, quasi noir. Autour de nous, tout n'est que dévers, toit, dégoulinures. Un dédale hostile dans lequel aucune ligne ne semble pouvoir passer. Et la corde qui file entre mes mains, jusqu'à arriver sur sur un replat. D'ici, on surplombe les eaux bouillonnantes, mais la descente n'est pas finie. Olivier se lance dans un délicat dernier rappel : il faut basculer en fil d'araignée et viser une minuscule plateforme au ras des flots. Nous voici arrivés au fond, cachés au regard de tous et perdus dans cette immensité à l'allure hostile. Qui penserait le Styx accueillant ?
 
Sur cet étroit récif, nous sommes chétifs. Au-dessus de nous, un fil d'ariane fait de goujons nous guide vers l'Olympe. Le shifumi désigne Olivier, qui s'élance dans cette première longueur. Il lui faut remonter une courte section raide qui l'amène jusqu'à un petit toit, au cœur duquel il se faufile par une étroite cheminée. Le passage est malcommode, je le vois se tordre et finalement se décharger de son sac, qui pend à présent au bout d'une sangle entre ses jambes. La tête passe la première, puis c'est tout le gaillard qui disparaît dans la gueule de Cerbère.
 
Au-dessus, le rocher change d'aspect. Un peu jaunâtre, le mur est formé de grosses boursouflures arrondies. Il me faut élonger mon corps au maximum pour parvenir à compresser les prises entre mes paumes grandes ouvertes. Parfois, à l'inverse, mes poings se serrent et s'enfoncent dans des fissures évasées, à la recherche de coincements improbables. La texture de la roche est surprenante, un peu chipseuse, et un mince dépôt se brise sous les mains. Au cœur de la muraille, une chatière constitue notre issue. Un dernier coup d'œil en arrière avant de la franchir, j'abandonne la claustrophobie pour le réconfort des rayons du soleil, en même temps que je bascule en pleine lumière sur une vire plus accueillante. Nul doute qu'Hadès aurait aimé nous garder près de lui, mais nous préférons lui laisser les enfers et entamer notre lente remontée.
 
Mais le soleil n'est qu'un leurre, car le fil d'ariane nous mène à une seconde grotte. On remonte un couloir fait de ressauts faciles, jusqu'à parvenir au cœur de la cavité. Celle-ci est haute et étroite, la ligne continuant de s'élever jusqu'à provoquer notre torticolis. Il faut grimper dans le fond, en cherchant de très bonnes prises dans chaque versant. Arrivé à une certaine hauteur, je pivote : à présent je tourne le dos aux minéraux, et fais face à la mer. Un pied de chaque côté, j'avance prudemment, pendant que mon casque se cogne dans la voûte de cette cathédrale. Malgré l'effroi du vide qui se creuse sous mes fesses, je suis grisé par l'impression de marcher dans le ciel. Icare, je te comprends !
 
La progression est la définition parfaite de cette notion de "grimpe 3D". Il faut utiliser toutes les dimensions pour trouver des prises, et s'y placer. Parfois au-dessus, souvent devant. Des fois plus bas, ou même derrière. Et bien sûr à droite, comme à gauche. Mon corps devient un pantin désarticulé par les grands écarts et les lolottes dans ce ballet aérien. Souvent, les points sont invisibles et il me faut continuer d'avancer, jusqu'à ressentir le soulagement de sentir, entre deux cristaux, la froideur du petit goujon de métal. Ici, quelques habitants de la nef on laissé une coulure de guano et de plumes. Un dernier vide me sépare du relais. Les mains franches ont disparu, il faut poser les pieds en adhérences de chaque côté du réduit, faire confiance et ne pas regarder la mer, qu'un fil à plomb pourrait rejoindre d'une seule traite, cent mètres plus bas. Puis enfin, la délivrance de me rétablir sur un large bloc coincé, à l'extrémité de la voûte. Je suis juché sur la clé de l'arche, et sent le regard des harpies qui me toisent dans l'obscurité.
 
Depuis ce petit tremplin suspendu dans le vide, je suis impressionné par le vide. Olivier doit l'être aussi, mais le montre moins et s'élance la fleur au fusil dans la longueur suivante. Il monte les pieds, s'allonge sur les bras et passe la tête à l'extérieur. "Oulà, là il va falloir que je réfléchisse ...." Quelques instants plus tard, il se hisse, ses pieds disparaissent. La communication entre nous est maintenant impossible, mais c'est un beau combat que je devine au rythme de la corde qui file entre mes mains. D'abord un premier pas très impressionnant où il faut quitter la mer pour se retourner face au rocher, et remonter une fissure dans un dièdre faiblement prononcé. C'est soutenu, et il vaut mieux se ménager quelques repos par d'habiles coincements. On retrouve la végétation et les odeurs de romarin quand la main s'enfonce dans les prises. Le rocher est là un très joli calcaire blanc aux reliefs francs. On se rétablit sur une large plateforme végétale, sous un dernier ressaut dalleux. Nous voici dans le jardin des faunes. 
 
Les cordées suivantes, qui n'étaient jamais bien loin, nous rattrapent. 2 cordées très sympa, qui ne nous auront jamais mis la pression aux relais. On est assez amusé d'apprendre que les demoiselles se promènent dans le 7b à Ceüse, et pourtant elles ont un peu de mal dans cette voie. Un beau rappel que dans ce genre d'itinéraire, le mental prime sur la technique. Nous avons pris le temps de boire et de grignoter un peu, la pause s'achève. Il ne nous reste plus qu'une longueur pour sortir sur le plateau. On s'apprête à partir dans la ligne qui nous surplombe, mais un rapide coup d'œil au topo refraine notre ardeur : il s'agit de la dernière longueur de "du gaz à tous les étages", qui côte 6b+. Notre longueur est plus à gauche, et débute par une jolie fissure. De là, on est tenté de suivre la ligne (facile) en direction d'un piton, mais il faut bifurquer à droite dans une dalle verticale assez teigneuse. C'est plus technique que le reste de la voie, il faut flairer l'itinéraire entre les points : un coup loin à droite, un coup loin à gauche. Les bras sont entamés par la journée écoulée, mes mains s'ouvrent seules et je dois m'y reprendre à plusieurs reprises pour enchaîner une petite traversée (obligatoires). Mais enfin, je prends pieds sur le plateau, à quelques mètres des rappels qui ont marqué notre point de départ. Olivier m'y rattrape, enchaînant la longueur avec classe. Quel plaisir de nous êtres extrait des griffes de Charybde.
 
Bilan, une voie absolument incroyable qui a su conquérir nos cœurs, oserait on parler de plus folle longueur des Calanques ? Assurément ! Le cadre y est absolument incroyable, et l'itinéraire suit un tracé halluciné tout en parvenant à circonscrire sa difficulté. Ce n'est pas souvent qu'un 6a permet de marcher dans le ciel. Le plus dur, c'est de ne pas regarder vers le bas, sous peine de voir Eurydice disparaître dans les profondeurs.