16-02-2019
Ecrins
1558
3071
AD
8h
l'anticyclone
1

Tremble, lecteur avide de sensationnel, oseras-tu confronter à mon récit ta face impavide aux yeux rougis par les pages internettes ?

Tremble, dis-je, car l'histoire que je vais te conter commence au cimetière, par une sombre journée de soleil. Ils étaient quatre ce matin-là, devant les sépultures, aux sources du drac, ce génie facétieux et funeste qui fit tant d'éplorés. Quatre à avoir enfilé successivement chausses à bouclettes, collation matutinale, pelisses et peaux de phoque. Tremble, frémis, grelotte, dresse-toi sur tes poils, ricane si tu veux, tu ne sais pas encore !
Quatre, toujours les mêmes, à cheminer insoucieusement le long du ru dont le glaçant clapotis surgit çà et là aux détours de la trace ourlée d'une neige molle qui guide leurs pas -- mais ils ne se doutent pas -- vers le Tombeau du Poëte.
Vois ces quatre bravaches poursuivre leur route, négligeant cette lugubre enseigne et faire fi de l'avalanche éboulée en travers. Déjà la pente se redresse, et de pins à crochets se hérisse. Et malgré tout ils progressent, dans le chuintement des peaux qui glissent. Ils ne devisent plus que par intermittence, la menace plane, les ombres rôdent et les souffles se raccourcissent. Car si j'en ai fait jusqu'à présent silence, je dois t'avertir, lecteur, que ces quatre-là ne sont pas seuls. Devant eux, qui les domine, un groupe d'individus s'est arrêté au détour d'un défilé et les manœuvres auxquelles ceux-ci se livrent sont aussi hermétiques qu'inquiétantes : les huit spatules sont disposées comme une herse, et sous la direction de ce qu'on prendrait pour une prêtresse, ceux qui semblent être ses disciples s'affairent autour d'une sorte d'autel au supplice. C'est aussi sans compter sur une silhouette à gros sac descendant à ski et qui s'est soudain évanouie sans laisser de trace.
Ils sortent leurs couteaux.
Franchissant avec prudence la première proéminence, les quatre se tiennent à bonne distance du mystère qui se poursuit avec une sombre indifférence. Et ce n'est que lorsqu'ils se réunissent à la faveur d'une terrasse que la situation se précise. Une rumeur s'amplifie jusqu'à secouer la montagne et, dans un vrombissement trop bien connu, surgit un hélicoptère de rescousse du PGHM. On suspecte que la victime s'est blessée ou a fait un malaise dans la montée. En quelques rotations expertes, les malheureux sont hélitreuillés.

Tandis que le suspense se dissipe, c'est le soleil qui se lève et arrose la face sud d'une splendeur éblouissante. Après une onction parasolaire, la troupe reprend son service jusqu'au lac des Pisses où les stigmates d'une descente aguicheuses se dessinent en face. La suite est sans incident jusqu'au replat vers deux-mille-huit-cent, où l'on tente par un tour de passe-passe de gagner le sommet en rejoignant l'arête sud, en visant une esthétique trace en S. Le raidard dans une neige de qualité alternative, entre poudre tassée et croûte lavée mène à ce qui se révèle une impasse si l'on veut suivre la crête. Qu'à cela ne tienne ! au prix d'une courte traversée jusque dans l'axe, tout le monde se remet à la planche pour un zézaiement droit dans la pente qui permet de prendre pied au sommet du roc Diolon. Superbe vue périscopique depuis ce premier trois-mille de la saison, salaison, sms et prélassement avant de rechausser pour un départ droit sous le sommet et une descente super avantageuse. Et ce, jusqu'aux champs enneigés de Prapic et un retour à la poussette à l'altitude de chaussage, au cimetière.
Car tu étais poussé et tu retourneras pousser.

Mouha-ha-ha ...