10-07-2021
Ecrins
PD
Olivier
2

Mon altimètre indique 3158m. Depuis que des nuages orageux nous ont enveloppés, il est difficile de s’orienter dans cette face nord de l’Olan, où tout est si vertical. Lentement mais surement, la corde file par à coup entre mes mains. Claire progresse avec rigueur. Soudain, ses pieds se dérobent et elle commence à chuter. Heureusement, elle se rattrape à une petite réglette d’une main. De l’autre, elle attrape un piton et tape dessus du pied pour l’enfoncer dans une fissure. Je regarde vers ma droite, cherchant du regard François pour lui demander de l’aide. Mais celui- est trop occupé : à cheval sur un gendarme, il pianote sur son téléphone pour modifier toutes les pages web se référant à l’Olan. Nouvelle attitude officielle : 4 564 m, voilà qui est mieux. Au dessus de moi, j’aperçois enfin Olivier qui revient. Il était parti en solo repérer une variante de la voie Desmaison. « j’ai buté sur un mur de glace mais ça doit sortir pas trop mal au sommet. Le retour était le plus difficile : la désescalade dans ces surplombs en 7c, j’aurais peut être du tirer un rappel ». Claire, qui vient de finir de planter son clou, ricane. L’ambiance est bonne dans la cordée. Mais soudain, un vacarme assourdissant nous assomme. L’adrénaline nous assaille, on se sent tomber vers le bas. Et c’est toute la face qui tombe avec nous, comme montée sur un gigantesque roulement à bille. Diantre, c’est ainsi que ça fini ? Ne saurais-je jamais si Antoine a réservé une tireuse pour le camp d’été ? 

 *réveil en sursaut*

 Le ciel est étoilé, l’air est frais. A ma droite, Olivier ronfle dans son duvet. A ma gauche, Claire et François roupillent sereinement. Ma montre indique 3h30, et face à moi dans la nuit, une ombre imposante : la face nord de l’Olan, dont les effondrements incessants nous ont accompagnés toute la nuit. Il est l’heure de se lever, de préparer le petit déjeuner tout en remballant ce bivouac confortable. Chacun s’affaire à son rythme, l’esprit encore ailleurs. On allège nos sacs de tout ce qui est inutile pour la journée, et on laisse le reliquat dans des paniers, dans un refuge de Fond Turbat encore endormi.

 Les premiers pierriers achèvent de réveiller nos genoux, nous sommes à la poursuite d’une cordée de deux dont on aperçoit les frontales au loin. Derrière nous, personne. La montée vers le lac du Pissou se fait sans encombre, bien que cette longue marche de bon matin soit assez désagréable. Arrivés au lac, encore invisible sous la neige, nous chaussons les crampons et sortons les piolets. Nous nous élançons dans un couloir de neige qui remonte vers la brèche de l’Olan. Le regel est bon et la progression sans grande difficulté, si ce n’est le souffle qui vient parfois à manquer. Nous esquivons un rocher envoyé par nos prédécesseurs, et hésitons dans le haut de la pente : la gardienne nous a prévenue, il ne faut pas aller jusqu’en haut mais quitter le couloir à main droite pour prendre pied sur un névé suspendu. Finalement, nous choisissons le bon endroit et entamons la traversée. On longe naturellement le haut du névé, avant de se faire la réflexion qu’il aurait été plus prudent de traverser par le bas, pour s’éviter une trop grosse prise de vitesse en cas de zipette. Tant pis, nous voilà déjà au rocher. Face à nous, la brèche carrée, formation caractéristique qui forme la véritable porte d’entrée de notre itinéraire : la traversée de l’Olan par l’arête nord.

 Passé cette brèche, nous progressons facilement dans des rochers faciles, entassés sur des gradins. On esquive des névés résiduels tantôt par le haut, tantôt par le bas. Ce cheminement indirect nous évite des manipulations pour cramponner et nous évite ainsi de perdre trop de temps. Puis, nous arrivons à la fameuse diaclase. Une longue faille qui strie diagonalement toute cette muraille accolée à la face nord. Elle forme une véritable vire, et même un parapet qui sécurise la progression. Voilà qui permet d’avancer efficacement, jusqu’à un large névé qui bloque passage. Nos prédécesseurs le traversent en direction d’une cheminée qui poursuit la diaclase. Nous nous souvenons de l’exposé de la gardienne qui nous indiquais de le contourner par le dessus, alors on se lance dans une traversée ascendante où l’on croise les premiers pas de grimpe à proprement parler. Heureusement, l’ensemble protège bien et là encore, nous ne perdons pas de temps en manipulation pour sortir ou ranger les crampons. Voilà qui nous permet de doubler l’autre cordée, qui bute sur de vraies difficultés dans la cheminée. Notons que cette zone est réputée paumatoire, les cordées tentant souvent de sortir par le haut en s’engageant dans une zone de rocher rouge plus raide. Il faut en vérité rester dans la logique de diagonale ascendante et viser un éperon que l’on distingue main droite. Et là, on rebascule vers une énième traversée ascendante, qui amène enfin au col qui marque la base de l’arête nord.

 On bascule au soleil et nous nous offrons une petite pause réconfortante. Claire aperçoit deux jeunes chamois, mais elle est bien dépitée de ne pouvoir échanger avec nous qui n’avons d’yeux que pour les gourdes et autres victuailles cachées en fond de sac. Le sommet ne semble plus très loin, mais les altimètres nous ramènent vite à la réalité. On repart sur un rapide bout d’arête horizontale, avant d’atteindre une petite bosse rocheuse (disons un gendarme retraité qui se serait oublié sur son canapé de longs mois durant). François et Claire passent sur le fil, sans difficulté. Olivier et moi, on se souvient que la gardienne nous avait intimé de contourner main gauche. La progression y est plus difficile, 1 points pour la cordée Andrieux-Vangioni !

 Et enfin, nous voici au pied de l’éperon final. Une large face, coincée entre main gauche des pentes en rocher brisés qui paraissent médiocre, et main droite le haut de la face nord qui forme une impressionnante abîme. Si on reste proche du fil, on trouve du bon rocher. La grimpe est facile et agréable, faite de nombreux petits ressauts à franchir. Parfois, on vient buter au-dessus de la face nord. Austère et hostile, deux mots qui pourrait définir cet abysse intimidant. Olivier remarque même des stalactites de glaces qui s’y sont développés à l’horizontale ! On finit par déboucher sur une antécime, d’où on rejoint en quelques dizaines de mètres le réel sommet. Instant de satisfaction générale lorsque nos deux cordées font jonction avec les nombreuses autres qui arrivent par l’autre versant, via la voie Escarra. L’occasion d’une pause bienvenue et le plaisir de contempler le panorama familier, mais toujours magique, que nous offre un sommet au milieu de l’Oisans.

 Arrivé là, on pourrait souffler et estimer le plus gros fait. Mais dès les premiers mètres de descente, on se souvient que seule la moitié du chemin a été parcourue. Nous effectuons une traversée, donc la descente se déroule sur l’autre versant, par la voie Escarra qui surplombe le refuge de l’Olan et plus bas la vallée du Valgaudemar. Aucun de nous n’a parcouru cette voie, mais heureusement l’itinéraire est logique, et nous sommes mêlés au flot de cordées parcourant cette voie en aller-retour. La désescalade n’est pas toujours simple, et l’arête est bien plus aérienne que notre itinéraire de montée. La concentration reste de mise, d’autant que le chemin jusqu’à la brèche Escarra est encore long. Arrivée à cette dernière, on espérait souffler dans des rappels, mais la désescalade continue dans des gradins, formant un terrain facile mais où il est difficile de protéger la cordée. On hésite parfois sur le cheminement, mais globalement c’est assez simple : vers le bas.

 Il nous faut tout de même bifurquer main gauche sur une longue vire qui traverse toute la face, pour rejoindre une large dalle qui descend jusqu’au glacier. Quelques hésitations plus loin, nous finissons par trouver les relais d’une ligne de rappel. Il est possible de désescalader encore ce passage, mais la relative sécurité apportée par la corde nous convainc de finir ainsi la descente. On franchira même les deux rimayes en toute sécurité, si ce n’est les pierres envoyées par les cordées plus haut. Puis encore un peu de marche jusqu’au refuge, pour enfin un apéro bien mérité ! La montre indique 17h passée.

 La soirée est animée par un orage d’anthologie, où on se félicite d’avoir opté pour le refuge plutôt que le bivouac. Chance que n’auront pas les deux personnages qui déboulent hébétés dans le refuge sur les coups de 20h45 : leur tente s’est envolée ! Au refuge de l’Olan, le cadre est grandiose mais, disons-le franchement, l’accueil quelconque et le repas plutôt médiocre. Mais tout est pardonné par une longue nuit d’un sommeil réparateur, et le bonheur d’un réveil tardif à l’heure de randonneurs.

 Car nous voici reparti pour une longue journée de randonnée alpine. La journée est ensoleillée, et nous profitons toujours de ces paysages sauvages. Nous passons d’abord le pas de l’Olan, avant de descendre dans le vallon du clot au fond duquel nous quittons le GR. Là, on remonte hors sentier un vallon encore plus isolé, à la recherche du col Turbat. Au milieu des pierriers, nous tombons sur des débris d’avions, stigmates d’un drame passé : le crash en 1985 de deux Jaguar de l’armée de l’air, qui ont percuté pleine balle la face nord de l’Olan. Le choc fut si violent que de nombreux débris ont étés éparpillés sur plusieurs centaines de mètres dans les deux versants. Tout n’a pas été ramassé à l’époque, c’est pourquoi on en trouve toujours des morceaux aujourd’hui. J’ai bien pensé à en redescendre quelques-uns, mais le poids m’en a dissuadé. Dommage, j’aurais aimé arriver à la déchetterie « qu’est-ce que vous avez ? » « Des morceaux d’avion de chasse, je crois que ça c’est un morceau d’aile, et ça un bout de commande éléctrique. ».

 Au fond du vallon, une muraille verticale nous intimide, mais en réalité un passage assez facile permet de basculer de l’autre coté. Il faut poser les mains et grimpouiller un peu, mais on reste dans le rayon « rando alpine ». De l’autre côté, la descente vers Font Turbat est plus agréable qu’imaginé. L’arrivée au refuge est l’occasion d’une longue pause réconfortante. L’équipe a changé il y a deux (ou trois ?) ans, et la nouvelle gardienne fait un boulot d’enfer. Jugez plutôt : la carte propose des glaces maisons ! Notons aussi un petit festival organisé sur plusieurs jours, avec projections de films en plein air, lectures dans l’herbe et randonnées accompagnées. Un évènement sympathique et familial qui offre de beaux moments de vie dans cette vallée perdue, et explique également que nous n’ayons pu réserver de place au refuge (et oui, d’où le bivouac !).

 Puis vient le moment de redescendre dans la vallée. Une longue marche sur un sentier bucolique, où nous devisons sur notre weekend, et la satisfaction d’avoir pu saisir ce beau créneau météo. Notre format sur 3 jours n’est pas le plus courant mais était nécessaire pour esquiver la pluie, s’alléger du bivouac pendant la course et garder un peu de temps dans nos journées pour souffler. Au final, l’occasion d’un beau voyage dans l’Oisans sauvage ! Nous arriverons à l’heure pour un ravitaillement fromage dans la micro fromagerie du Désert en Valjoufrey. Un bond dans le temps, où l’on achète le fromage dans une cuisine, avec le lave vaisselles qui tourne en fond sonore.

 Avant de nous séparer, on palabre sur le futur compte rendu. Et Claire de me demander : « mais du coup dans les Comptes rendus, on peut écrire ce qu’on veut ? » Et moi de lui répondre « Oui, il faut juste qu’on se mette d’accord entre nous sur les exploits qu’on va inventer ! »