15-08-2021
Vanoise
TD
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On ne présente plus l'Aiguille de la Vanoise. C'est un très beau sommet au centre d'un vallon, qui vient s'imposer au regard lorsque l'on cherche à observer la Grande Casse ou les glaciers de la Vanoise. Selon là d'où on l'observe, l'Aiguille ressemble à un tas de cailloux instable (depuis l'Est), à de jolies pentes herbeuses débonnaires (depuis le Sud), à un superbe aileron de requin (depuis l'Ouest), ou à une imposante muraille froide et hostile (depuis le nord). Visible depuis Pralognan sous son meilleur profil, et facilement accessible, c'est un objectif qui a su séduire des générations de grimpeurs depuis que l'on a arrêté de considérer les montagnes comme de simples parkings à vaches.

Départ à 7h du parking des Fontanettes, l'approche se fait en 1h30 par un sentier roulant, d'abord en sous bois, entre les saignées formées par les pistes, puis par un chemin coincé entre deux murets de pierre sèche. L'arrivée au lac des vaches est un moment toujours appréciable, tant l'endroit dégage de magie au soleil rasant du matin. De là, on dispose d'une vue complète de la face nord et de notre objectif du jour : la voie Bertrand-Desmaison, un itinéraire semi-équipé qui serpente dans une face écrasante. De là où nous sommes, on devine le cheminement et déjà, il nous inspire une certaine humilité. C'est raide et lisse, et parfois c'est encore plus raide et encore plus lisse. Mais on ne se laisse pas abattre, on est les premiers face à la paroi, alors Putentraille et à l'abordage!

La mise en bouche est constituée par deux longueurs de 4, qu'il est possible d'enchainer avec 60m de corde. J'avoue qu'à froid, ce sont deux longueurs qui surprennent. Le rocher est un joli calcaire gris avec un grain de folie, mais il faut se hisser de marches en marches avec souvent pas grand chose sous les mains. On bosse la technique des rétas. Niveau équipement, on trouve des pitons par moment, et il est possible de temps en temps de se rassurer en ajoutant un peu de quincaillerie. Arrivé à R2-qui-est-en-fait-R1, on enchaine sur une traversée très daleuse. Quand le regard de laisse aller au dessus des pieds, il vient s'écraser contre une muraille oppressante, très verticale voire déversante. Tout passage semble illusoire, et pourtant il doit en exister un. La fameuse L4 ...

Départ du relais, un premier pas en trav' pas simple permet de se rétablir à la base d'un dièdre. Puis on monte, les jambes écartées et le buste poussé en arrière par la raideur de la face. On trouve de bonne prises pour les mains, moins pour les pieds. Progression lente et exigeante en stamina. Heureusement, ici l'équipement est abondant. Arrivé dans le haut de la longueur, on bascule à l'extérieur du dièdre avant que le dévers ne devienne toit, et nous voici à cheval sur une petite plateforme au dessus du vide.

Voici maintenant une traversée de 50m, sur une dalle par endroit plus lisse qu'une peau de bébé. Le pas est exigeant (pied en adhérence, main en adhérence, esprit en prière). Une corde fixe à demeure permet de schunter mais un bon Gaulois ne touche pas à ces choses là! Puis, il faut revenir sur nos pas par une diagonale ascendante droite. On retrouve une successions de rétas comme dans L1/L2. A ce niveau là, le relais se fait sur une confortable et large vire, alors on décide d'une pause le temps de laisser passer la cordée derrière nous. Un petit jeune qui randonne en grosse en sifflotant, avant de faire monter sa seconde qui est elle plus lente et moins à l'aise. Mais le temps qu'il leur faut pour parcourir une longueur reste inférieur à celui qu'il faut à un Gaulois pour assécher une pinte un jeudi soir.

Et derrière eux, une autre cordée nous talonne également. On leur propose de passer devant aussi mais bien sympa, ils déclinent. L'ambiance est bonne.

"- Vous venez d'où?
- De Lyon. Et vous?
- Du coin. Et vous faites quoi dans la vie?
- Ho, des trucs pas passionants. Et vous?
- Ho, je suis gardien de refuge. Au refuge du col de la Vanoise.
- Ha oui, du coin quoi!"

Ensuite, voici un nouvelle longueur "pas simple". Un petit surplomb bloque la route, et pour forcer le passage il faut se découvrir des talents cachés : la souplesse d'une danseuse du Bolchoï pour les jambes et les muscles d'un Stalone pour les bras. Pour le bruit et les jurons, je vous laisse imaginer. Transition en Dülfer, et voici la seconde longueur clé. Un dièdre à remonter, barré d'un petit toit qu'il faut contourner. Du bas ça n'a pas l'air facile. Je vous rassure, du haut non plus. La progression s'y fait dans un blougi-boulga de toute la gestuelle qu'un grimpeur moderne peut déployer. ça grogne et ça souffle, tchoutchou voilà le train de midi! Et puis voilà que nous arrive dans la gueule une superbe traversée sur la pointe des pieds sans les mains, puis une remontée dans une large écaille qui vient m'avaler tout le bras et toute la cuisse, dans un coincement que ne rechignerais pas un grimpeur Californien.

R10, il serait temps de lever le drapeau blanc. Au dessus de nous, la face se couche et on devine un terrain bien plus simple à grimper. On peu de nouveau enchainer les longueurs, on fera donc 3 longueurs de 60 au lieu de 6 de 30. Le cadre est superbe, c'est facile mais ça grimpe quand même et on profite jusqu'au bout de la face. Un petit pas de 5+ caché au milieu remettra une pièce dans la machine à jurons.

On fini par se rétablir sur l'arête, quasiment au sommet Ouest de l'Aiguille. Quel plaisir après avoir été à l'ombre l'intégralité de la voie ! La vue est superbe, mais qui en douterait? La face nord sous nos pieds continue encore d'happer notre esprit. Quelle ligne! A la lecture du topo, on pourrait croire à des longueurs de transitions encadrant quelques courts ressauts grimpants. Et bien pas du tout, chaque longueur est belle, chaque pas, du plus simple au plus farouche, est un bonbon pour le grimpeur. Et c'est un beau morceau d'histoire, il fallait oser se lancer là dedans dans les années 60! Et trouver son cheminement dans ce labyrinthe, deviner où forcer les ressauts sans topo nécessitait d'avoir un sacré flair. Les longueurs difficiles sont abondamment équipées, le reste moins. Une cordée kamikaze ne rajoutera rien, mais il nous semble plus prudent de conseiller à une cordée aux testicules normalement constitués de prendre de quoi rajouter quelques protections.

Un peu fatigué, on décide de ne pas poursuivre pas par un bout de traversée des arêtes, mais on se lance direct dans la ligne de rappel sous le sommet, en face sud. 2 vrais rappels et un 3e sur un spit en guise de contre-assurage, puis un peu de marche dans des pentes herbeuses un peu expo, et nous revoici au sentier au milieu des Edelweis. La descente est là encore de toute beauté, même si l'arrivée au parking forme une belle délivrance pour nos pieds et nos cuisses.

Il ne nous reste plus qu'à bosser encore pour décrocher un ticket dans le 7 et parcourir une des voies directes de cette superbe face. On peu toujours rêver non?