26-06-2023
Ecrins
D
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Ça y est. Nous partons enfin. Deux ou trois saisons estivales après l’avoir envisagée pour la première fois, sur une proposition de Rémi, nous nous retrouvons en route pour La Grave.

                Antoine, Grégory et moi faisons connaissance dans la 106 de ce dernier avant de rejoindre le camarade Rémi sur le parking du CAPI, puis laisser s’écouler la matinée le long de l’A48 puis de la D1091, sur laquelle les travaux pour l’été ralentiront notre progression. La répartition du matos collectif faite au pied de la télécabine, celle-ci nous conduit à 2400m pour midi pile. Nous ne sommes pas particulièrement en avance, et avançons d’un bon pas à travers le clot des Sables pour rejoindre les Enfetchores. Un cheminement, astucieux il est vrai, selon le topo, permet de progresser jusqu’au glacier sans trop grimper, anneaux à la main sur suggestion de ma part, et le cas échéant lors d’un pas ou deux le nécessitant, ces derniers libérés autour d’un becquet pour faire venir le second. Une fois les crabes aux pieds, la progression jusqu’à la brèche est aisée grâce aux conditions d’enneigement favorables. La rimaye passe sans problème et nous pouvons prendre pied assez haut dans le rocher délité qui précède la bascule vers le vallon des Etançons. Le couple de Pyrénéens qui nous précède s’égosille contre une cordée d’allemands ayant choisi de célébrer notre amitié transrhénane en leur expédiant quelques micro-ondes, de manufacture Siemens probablement. Une fois à la brèche, mon inquiétude quant à l’état de la descente se voit minimisée par la couverture neigeuse intégrale qui permet de ne pas tirer de rappel. Nous descendons décordés, vigilants à chaque pas, pour traverser ensuite jusqu’au refuge. Le Promontoire, enfin.

                Les 32 places du refuge sont occupées ce soir, et à part 5 personnes se rendant au Râteau ou redescendant, le reste parcourra l’arête. Nous ne serons donc pas seuls : nous retrouverons la cordée occitane, deux binômes du 7è RMAT de Lyon, un gars emmenant une amie pour sa dixième, un basque et un espagnol associés le temps d’une course, … Je profite du temps après le repas pour repérer l’attaque, après la courte approche sur la passerelle des toilettes, avant d’aller me coucher pour une nuit mouvementée, entre chaleur du dortoir et cerveau qui s’égare dans les méandres de ces noms que j’ai appris comme un poème : campement des Demoiselles, Couloir Duhamel, muraille Castelnau, dalle des Autrichiens, vire aux encoches, pas du chat, glacier Carré, cheval rouge, … Autant d’occasions pour mon paquet de neurones d’imaginer une zipette, un point qui saute, une chute vertigineuse, …

                Réveil 4h au son de la cordée germanique qui juge bon de refaire son sac dans le dortoir quelques minutes avant le lever des autres, petit déj vite englouti, et puis c’est parti, à la frontale, on démarre Rémi et moi, suivis d’Antoine et Grég. Le pas du crapaud nous permet une mise en chauffe rapide en termes de grimpe en grosses, puis l’arête se couche jusqu’au campement des Demoiselles, où nous coupons les frontales, pour mieux appréhender l’immensité de la face sud et du gaz conséquent qui nous entourera la totalité de la course. La suite se poursuit sans accroc, et nous traverserons le couloir Duhamel pour lui préférer sa rive droite pour remonter, jusqu’au pied de la muraille, où d’autres cordées s’entassent : jusqu’alors bien dans l’horaire, une cordée en galère devant va nous faire perdre un temps précieux. Nous remontons les vires et finirons par la dépasser au niveau de la dalle des Autrichiens, dans un chaos de cordes tel que nous ne remarquerons même pas qu’il s’agissait d’un pas à franchir : alors que la cordée moins véloce tire une longueur, Rémi et moi choisissons de les doubler en corde tendue, nous-mêmes dépassés par deux missiles intercontinentaux, faisant la jonction La Grave - La Grave à la journée. Les cordées se répartissant alors plus naturellement, nous poursuivons jusqu’au pas du Chat. Enfin, sous le pas du Chat visiblement, puisque nous avons choisi de passer par la ‘vire à Rémi’. Pas dure. Mais pas large non plus. Pas expo. Mais pas conciliante avec une éventuelle chute non plus. Une vingtaine de mètres de regards écarquillés vers le bas plus tard, nous rejoignons les vires du glacier Carré. Nous prenons le parti de nous décorder, la chute n’étant certes pas permise mais le niveau de progression de notre cordée étant homogène et les possibilités de protéger nulles. C’est donc en serrant bien mon piolet main gauche que j’entame cette traversée sans faux pas jusqu’à la brèche sous l’arête Ouest, dont le large mur nous verra louvoyer puis atteindre le Cheval Rouge. Une fois le chevauchement de celui-ci effectué, le regard a tout loisir de se porter sur le reste du programme de la journée : une course d’arête toujours vertigineuse. Le Doigt de Dieu n’est pas topologiquement tout à fait « à côté ». Rémi termine l’ascension au sommet et nous nous y retrouvons tous les quatre, suivis par les deux cordées de militaires. Combien La Grave semble petite vue d’ici ! Le bonheur d’être là est accompagné de la conscience d’avoir une seconde course à sortir pour rentrer au refuge, que l’on distingue au loin.

                La succession des trois rappels en mutualisant nos cordes sera un coup supplémentaire porté à notre horaire, avant que je poursuive sur la courte partie effilée qui mène aux câbles sous la Zsigmondy. Au pied de celle-ci, imposante, je suis bien aise de ne faire que la contourner. Nous continuons corde tendue dans la goulotte, en plaçant des dégaines sur les ancrages du câble : une chute ne saurait être absorbée par notre simple longe. Le glaciériste hivernal ne rencontrera guère de difficultés dans ce passage à maximum 70 degrés. Nous poursuivons le long de la deuxième dent, et laissons filer les militaires avant le rappel de 15m qui permet d’en descendre pour rejoindre la troisième. Je réalise alors ne rien n’avoir avalé alors qu’il est près de 16h, j’engloutis une bouchée de fougasse et une gorgée d’eau, et repars jusqu’à rejoindre la quatrième dent. Les arêtes étant encore fortement enneigées, la plupart des cordées ont fait le choix de la shunter. Soucieux d’une chute en encordement court si cette traversée expo présentait une accroche moins bonne que prévue, j’insiste pour tirer une longueur. Rémi, bon camarade, accepte, et je lui en serai reconnaissant car quelques mètres se révélaient être des placages en glace fine sur dalle, au-dessus de centaines de mètres de pente. Nous terminons l’arête menant au Doigt de Dieu aisément. L’engagement diminuant alors d’un cran, ou la beauté des arêtes soufflées et enrobées de brume, ou les deux à la fois, m’arrachent une larme ou deux, celles qui coulent quand on réalise l’exceptionnelle chance que l’on a de pouvoir être témoin de cette beauté, visiteur temporaire de cet endroit exceptionnel.

                Nous quittons le sommet à 19h, sous un vent qui se lève, glacial, pour enchaîner quatre rappels jusqu’au glacier, dont la traversée jusqu’au refuge de l’Aigle fût à nouveau facilitée par les conditions. Encordé en quatrième, je suis surpris par l’arrivée dans mon dos d’un hélicoptère du PG qui passe à littéralement 20m de moi, à la recherche d’une cordée belge venant du Pavé (in fine saine et sauve). Un repas chaud complet nous est servi, au milieu de la pièce principale, éteinte, et des couchettes remplies. Nous allons nous coucher, fatigués de cette longue et belle journée, de ce voyage en compagnie de la Reine des Ecrins, de cette expérience incroyable en montagne. Pour avoir toqué à ma porte, proposé et organisé cette aventure, merci Rémi.