09-05-2021
Alpes Grées S
1100
2200
3300
PD
Félix
1

Ce week-end, ça a bien cartonné. De mon côté également ; mon pote Félix s’est fait coffrer, pas enseveli mais bien secoué et blessé léger. Je fais ce petit retour d’expérience pour partager les enseignements de la journée avec qui veut. Si ça peut servir…

Un peu de contexte : Vendredi soir, alerte générale. ANENA, MF, PGHM, Emeric, tous les « alerteurs nivo » ont sorti le mégaphone. Beaucoup de neige fraiche les derniers jours, des changements de température, du vent, une couche de sable toujours enfouie en altitude, le cocktail est très dangereux. Nous, ça fait 6 mois qu’on a prévu un raid de 5 jours au mois de mai au Mont Blanc. Le mauvais temps annoncé nous contraint à réduire à 4, puis 3, puis (2+ éventuellement 1) jour. On décide d’aller se balader quand même parce qu’on est des bonhommes et qu’on ne craint rien qu’on se dit qu’en choisissant la course la plus safe du coin le plus safe, et en étant très alertes sur les indices et très enclins à renoncer, ça doit le faire.

Méthode 3*2, partie 1 : (3*2 et non 3*3, l’état des bonhommes ne comptent pas, on s’engagera dans du facile techniquement) On oublie Cham, trop de neige fraiche. La Haute Maurienne est le coin des Alpes du nord qui a été le moins arrosé. Pour la météo c’est assez vague, mais le massif ne semble pas en première ligne. Enfin le refuge d’Ambin est situé dans un large fond de vallée, et plusieurs courses semblent bien gentilles au niveau des pentes, ça devrait le faire.

Méthode 3*2, partie 2 : Arrivée surplace samedi dans la matinée, effectivement, même en altitude pas un pet de neige fraiche, pas un rocher plâtré, c’est plutôt rassurant. On attend d’ailleurs presque le refuge pour chausser. Il fait beau et chaud comme prévu. On monte au refuge puis on va se balader au-dessus, au point 3018 au-dessus du col Sommeiller ; il est tard, la surface de la neige est lourde et collante, et pourtant quelquefois s’affaisse sous nos pas, signe d’un manteau pas entièrement transformé et d’une éventuelle couche fragile de neige pourrie. On y repense maintenant, mais sur le coup ce n’est pas significatif. A part ça, toujours pas de neige fraiche à 3000, peu de vent. Le soir, 3 Grenoblois partis en raid depuis 7j nous rassurent sur la nivo, ils étaient au Mont d’Ambin aujourd’hui, ils nous conseillent même une descente dans une combe nord sous le col d’Agnel à 35°, je dis bof.

Méthode 3*2, partie 3 : Dimanche matin, départ 6h du refuge, direction le Mont d’Ambin, avant d’éventuellement tricoter vers Niblé/Ferrand. En contournant le premier verrou, aucune pente >30° excepté la facette sommitale. Excellent regel, tout est béton, presque trop pour Félix qui est en split sans couteaux. Au moins, il nous force à éviter toute pente. Le ciel est bleu au-dessus de nos têtes, mais bientôt en nous élevant nous voyons plusieurs massifs dans la brouillasse. Il y a du vent. Nous ne savons pas s’il y en a eu cette nuit sur les hauteurs, mais en tout cas pas de transports de neige sur les crêtes. Rien ne change jusqu’à cette fameuse facette sommitale, et lentement alors que tout nous rassure, l’idée d’une avalanche disparait de nos esprits.

L’arrivée sur les lieux : Ça y est, le petit raidard, plein sud est devant nous. Il doit être 9h. La neige est toujours aussi dure, voire gelée. Je mets les couteaux, et conseille à Félix de mettre ses crampons pour les 100m « raides » (30/35°). La face consiste en une facette à droite, un poil plus raide, ou nous voyons des traces de montée de la veille, puis des rochers affleurants (qui se traversent), puis à gauche, une facette plus large, un poil moins raide, comportant 3 traces de descente. Je me lance à droite au plus direct, en faisant remarquer à Félix qu’on perd du grip. Il est bien d’accord et préfère filer à gauche que mettre ses crampons. D’ailleurs, en tapant bien du pied, la croute s’affaisse de quelques mm voire cm si bien qu’il peut monter sans couteaux. C’est le deuxième indice du week end, qui aurait dû nous alerter, il n’y en aura pas d’autre.

L’instant fatidique : Pour ma part je continue au plus direct, j’arrive à quelques mètres du sommet pour constater que la brouillasse se rapproche de notre massif, quand j’entends un cri ; à force de taper du pied, juste après sa dernière conversion, Félix a fait partir toute la face, sur 30 à 40cm d’épaisseur. Il a la présence d’esprit de brailler, ce qui n’est pas si facile vu qu’il faut d’abord prendre une inspiration. Je suis 200m plus à droite et quand je lève la tête, je vois la face en mode puzzle. Je ne comprends pas ce qu’il se passe, mon cerveau a rangé cette idée très loin au vu des condis, on évolue sur du béton, tout est gelé, WTF ??? Super, je suis en peaux, en couteaux, sur une neige gelée. Je le vois, je le vois… Il disparait. Attends, c’est vraiment en train d’arriver là, il va falloir y aller. Enlève déjà tes couteaux. Et tes peaux aussi ? Attends, reste sur la coulée, si une jambe ressort ça donnera toujours un indice sur sa position. Les blocs de neige restent presque intacts pendant la coulée. Il va sans doute moins bouffer de neige, mais il va dérouiller… J’appelle les secours ou j’y vais ? Ce n’est pas si gros, il est tout seul, mieux vaut y aller sans perdre de temps.

Et tout s’arrête : Pouf, quelques secondes avant que la neige ne s’immobilise, voilà mon Félix qui se fait recracher tout en bas de la coulée. Je suis loin (200m droite + 150m haut, à vos pythagore) mais je le distingue sans hésitation. Ça c’est gagné, mais vu les blocs, il peut aussi bien être fracassé. La tentation est grande de l’observer pour avoir une idée, mais le but est d’arriver à lui au plus vite ; vu la descente que j’ai à faire, je prends le temps d’enlever mes peaux, mes couteaux, et même de serrer mes chaussures. Le temps perdu sera largement regagné. Je descends au plus vite mais sans vouloir prendre de risques, les jambes flageolent un peu. Arrivé en bas, il a l’air d’aller bien. Il a perdu un « ski » et l’autre, toujours fixé, est cassé en 2. Il me dit que la suite de la journée est foutue, mais que je peux aller au sommet pendant qu’il cherche son autre ski. J’ai une petite expérience personnelle malheureuse en la matière, qui pour le coup me sert bien, alors je le calme tout de suite ; vu le shoot d’adrénaline, l’euphorie d’être en surface, tu ne sens rien, mais tu vas vite t’asseoir et ne pas bouger, on en reparle dans 10min. D’ici là c’est moi qui te sors les gants, qui récupère tes lunettes, etc. Pas besoin d’attendre 10min ; au bout de 3, il a très mal à l’épaule et la hanche gauche, il me dit qu’il ne pourra pas descendre à pied.

Le sketch de l’appel : Depuis que je fais de la montagne, j’entends qu’il est bien d’enregistrer les numéros directs des PG sur son téléphone. Je ne l’ai évidemment jamais fait. Comme souvent à la frontière nous n’avons que le réseau Italien, alors le 112 nous amène chez le standard des secours Italiens. Qui nous transfère à l’interprète des secours Italiens. Qui nous transfère au standard des secours Français. Qui nous transfère par erreur au PGHM de Briançon. Qui nous retransfère au PGHM de Modane. 10 voire 15 longues minutes pendant lesquelles la brouillasse se rapproche, le vent forcit, et surtout pendant lesquelles un blessé grave verrait ses chances de survie s’envoler. L’hélico décolle à l’instant me dit-on. Je sors enfin ma couverture de survie que je trimballe depuis 6 ans, pour saucissonner un Félix grelottant qui en a bien besoin. La suite est sans intérêt surtout vu le pavé que je vous ai déjà pondu ; groupe du CAF, doudounes sur les jambes, hélico, médecin, la merde descend et le vent pousse, hélico ric-rac pour repasser, hosto, scanners, echos, test PCR, rien de cassé mais le bonhomme met 3min à se lever et 5min pour changer de pièce.

Il y a eu des choses bien de faites, et des erreurs, alors un petit récap des choses qui me semblent importantes/bonnes à savoir : (Qu’on me corrige, contredise, apprenne, je ne demande que ça)

  • Même en étant très alerte ET très alertés, très peu d’indices relevés ; ça peut partir quand même !
  • Une croûte même épaisse et gelée qui s’étend dans toutes les directions, ben ça part. J’avoue avoir rarement vu ou entendu parler d’une coulée avec une neige aussi compacte et des blocs quasi intacts après coup.
  • Taper des pieds n’est pas bon pour la santé. Sûr qu’en crampons ou même en couteaux, il n’aurait pas décroché la face. Ce n’est pas la raison qui nous fait mettre les crampons/couteaux habituellement mais ça peut finalement être un critère…
  • L’absence de neige fraiche et de transports de neige visibles sous le vent sont plutôt rassurants ; ils ne doivent pas trop l’être.
  • Par chance uniquement nous étions loins l’un de l’autre au déclenchement. A l’avenir même sur du safe apparent je pense que je prendrai mes distances dès que c’est possible et facile.
  • Le numéro de nos 5 PGHM favoris enregistrés sur le tel, ça peut sauver des vies : Bourg St Maurice 0479070110, Briançon 0492210883, Chamonix 0450531689, Grenoble 0476775770, Modane 0479055098.
  • Un blessé peut avoir la bougeote. Sauf risque de suravalanche ou tempête, il est impératif de lui dire de fermer sa mouille et de s’asseoir gentiment sans bouger pendant 10-15min, car la baisse de l’adrénaline peut laisser place à des surprises (on a descendu tout une piste avec ma copine qui venait de se boiter sévèrement, au lieu d’appeler la barquette ; elle avait au final 2 vertèbres cassées).
  • La couverture de survie, ça pèse 100g et c’est vraiment très confort pour un blessé.

 

Quand je vois le BERA pour la Hte Maurienne, je suis vraiment deg.

Sortie skitour d'un gars du caf : https://skitour.fr/sorties/151623

Le Data-Avalanche : http://www.data-avalanche.org/avalanche/1620585069217