29-01-2022
Belledonne
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PD
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 Déjà vingt bonnes minutes qu’ils louvoyaient entre les troncs serrés, arbres sans noms, plantés au hasard, maigres et sans grâce, rassemblés sur leur route par un semeur trop généreux, ou bien un louffiat trop content d’en finir, qui aurait vidé là tout son sac de graines avant de rigoler un bon coup, secouant toutes ses dents, une quinzaine, avant de faire demi-tour. La nature avait salopé le boulot et voilà c’était le bordel.

On se faufila, on rampa, on pesta, on gesticula tant et si bien qu’on finit par s’en extirper. D’abord la tête, les épaules suivirent et puis tout le reste.

 

 Le vallon du Merlet, moqueur, se redressait soudain en même temps qu’il se resserrait en étroit goulot tout encombré cette fois par une drôle d’avalanche : de jeunes chasseurs alpins pendaient par grappes, grenouillant maladroitement dans la pente, les premiers accrochés aux branches, les seconds accrochés aux premiers, aucun sur les skis, tous en peine. Les ordres tombaient d’en haut, rebondissaient sur les bonnets, manquant les oreilles, se dispersant en mots épars, éclatant le sens en mille gouttelettes absurdes. Leur chef, un gros rougeau exténué trimait en tête, les bidas l’appelaient Bedaine. Jadis fier coq, il avait aujourd’hui tout du canard gras. On les contourna, on rusa, on rua, on dépassa l’armée en déroute juste sous le plateau.

En face le vallon se déplia comme une nappe. On franchit bien vite le plat qui s’étendait des Granges aux chalets de la Loze, puis le fond du vallon. De là plein ouest dans les pentes sous le col de la Colombière. En haut, il y avait d’abord François ; Thibault, Florent et Delphine s’étageaient au-dessous; enfin, fermant le ban, étaient Amandine et Robin. A 450 m/h la troupe cinglait vers son objectif. Le passage du col de la Colombière en devers et neige fondante fut négocié avec quelques délicatesses puis apparu le fil de la crête menant à l’antécime. Le panorama monta vers eux : au nord-ouest les Bauges, sur leur droite le Cheval Noir et la Grande Casse à l’horizon, et tout de suite au sud la pointe de l’Aup du Pont qui leur bouchait les Ecrins.

 

 Soleil, pelouse et absence de vent, on se réjouit de l'accueil. Des sandwichs sortirent des sacs, des bouchons sautèrent, des mets furent échangés, les tup vidés, les gourdes asséchées, les estomacs noyés. Tous avaient entraperçu le couloir en 4.1 qui les attendait suspendu dans l'ombre de la face nord, mais pour l'heure l'ambiance était au bavardage, et chacun cherchait à taire la sombre inquiétude qui lui naissait au creux des entrailles. Après le dessert on s'équipa dans le recueillement et la concentration.

 

Il était temps d'y passer.

 

 Surplombant le décor austère du gouffre, les spatules déjà dans le vide on y réfléchi à deux fois. Les hommes, valeureux, envoyèrent d'abord Amandine en reconnaissance, puis Delphine ensuite pour confirmer l'absence totale de tout danger. À la suite de nos deux véritables héroïnes, cette fois bien résolus, ils s'élancèrent fièrement, plastronnant en virages sautés, petites et grandes courbes dans une poudreuse tassée, souple, accueillante finalement. Ainsi parcouru le couloir perdit de sa verticalité, on lui trouvait même un air débonnaire, en somme tout juste à la hauteur des capacités de la troupe !

Rassérénés d'avoir si facilement triomphé on replia bien vite la nappe du Merlet, on dégringola dans le goulot maintenant libéré, on coucha tout les arbres du bois du Nant sous le souffle de notre course, on pila net devant la route.

 

Après une bière bue entre un écran de tiercé et un écran de rapido, nos Merles et nos Colombes déplièrent leurs ailes pour reprendre la direction du nid.