20-03-2022
Mont Blanc
1600
1170
2750
6h
Louis BENOIT
0

A l'occasion d'un rassemblement Gaulois clandestin, je me retrouve, au soir d'une journée on ne peut plus honnête, en train de manger une sorte de pudding à base de rondelles de pain rassis, de fromage, et d'ail, dans le chalet CAF des Contamines. Lumière rare. Vacarme de bar pirate. Le décor est planté...
Serein, naïf, un peu étourdi par la longue journée qui s'achève, le repas, et les vapeurs d'alcool, je rêvasse, pensant aux prés ensoleillés où, sans doute, je délasserai demain mes gambettes courbaturées.
Mais je me trouve, sans le savoir encore, en bien mauvaise compagnie... En face de moi, le principal suspect, Paul. A ma gauche, son complice présumé, Louis, ex-Gaulois de sinistre réputation. Sirotant des liqueurs frelatées aux ingrédients mal identifiés, ils chuchotent, penchés l'un vers l'autre. D'une manière équivoque, ils tournent lentement vers moi leurs mines patibulaires. Un sourire de mauvais augure aux lèvre, l'air mielleux, ils m'entretiennent, me promettent, m'embobinent, bref, me manipulent ! Je ne comprends rien. Il est vaguement question d'un chat borgne au fond d'un couloir... En tout cas, je ne sais trop comment je me retrouve dans cette situation, mais au bout de quelques instants (et quelques fonds de verre) me voici coincé. Adieu, alpages ensoleillés, adieu, neige douce, adieu, pentes apaisantes ! Demain, en leur compagnie, c'est le gros coup. Le casse. Le hold-up. Je serai dans la bande pour un casse à l'Armancette. A nous les faces nord, les couloirs penchés, les glaces et l'ombre ; aussi, en cas de coup dur, la maréchaussée qui rôde dans son hélico couleur de nuit...
A 8h30, dans un froid glacial et sous la lumière de néon d'un soleil qui se lève, nous voici en route. Nous forçons une entrée dérobée, défendue par un torrent de roches glissantes, de cailloux pointues, d'arbres arrachés et fendus, de branche brisées et de ponts de neige traîtres cachant mal un ruisseau à l'eau trouble. Peinant et ahanant, portant notre matos comme une croix, nous pliant en deux toutes les 5 minutes pour chausser, déchausser, rechausser, redéchausser, nous montons vers l'objectif. Louis, rusé comme toujours, feint d'être malade - c'est clairement pour tromper les services de surveillance qu'il expectore des glaires de tuberculeux en convalescence, car, vue sa vitesse d'ascension, il est en pleine forme. Sa cagoule sur le front, son pied-de-biche sur le sac, il court vers l'objectif.
L'objectif justement, le voici enfin qui apparaît : un immense cirque de cailloux noirâtre et de neige blafarde sillonnée de vieilles coulées jaunasses. Dans un recoin, un couloir mystérieux se dérobe furtivement derrière un éperon lugubre. Nous montons, toujours dans l'ombre, toujours silencieux, toujours prudents, sur la neige dure qui crisse et glisse... Nous contournons subrepticement l'éperon, et nous voici, incognito, au pied de la pente. Elle est sévère, rude, inquiétante. Mes deux compères, endurcis au crime, ne cillent pas. Pour ma part, je sens au fond de moi comme un dernier éclat de la conscience pure qui, jusqu'ici, me retenait : suis-je bien à ma place ? Veux-je vraiment trahir la confiance de mes vieux parents et m'engager dans cette voie qui semble sans retour ? Il est encore temps... mais Louis part déjà, je ne peux plus hésiter, il faut le suivre, et le suivre jusqu'au bout ! J'avance.
J'avance, un pied devant l'autre, et encore, et encore, crampons aux pieds, skis au sac, sueur au front. La chaleur devient insupportable. Paul s'époumone. Louis fatigue. Mais nous voici enfin au sommet ! C'est le jackpot ! Enfin... si nous parvenons à nous échapper. Déjà, l'alerte est donnée, les sirènes du vent hurlent, la température chute ! Nous fuyons, les yeux miroitants d'azur et d'horizons lointains. Mais l'issue est loin, tout en bas d'un toboggan de neige dure pleine de chausse-trappes, bordé de cailloux maléfiques. La chute serait catastrophique. Et nous qui avons les poches et les cuisses déjà alourdies de butin ! Ah, pauvres de nous ! Enfin... il faut y aller. Nous filons vers le bas vers l'oxygène plus riche et les bois déjà vers, les chaumes doux sous les semelles, les terrasses accueillantes qui récompenseront le risque prix. Nous nous faufilons in-extremis à travers une ratière, qui part un déceptacle façon égoût où se sont déversés on ne sait combien de couloirs malpropres, permet d'accéder enfin à la sortie. Nous nous laissons glisser rapidement sur une moquette douce, attentifs encore à ne pas tomber dans un piège subreptice. Le dieu des monte-en-l'air est avec nous, nous nous échappons sans encombre ! Enfin saufs, le magot dans le sac, nous pouvons enfin nous retourner et respirer : bingo ! le coup à réussi. Après une pause bien méritée, nous prenons la route de l'exil, par une voie secrète qui contourne la montagne, afin de brouiller les pistes et d'égarer d'éventuels limiers lancés à nos trousses. Avec des ruses de Sioux, traversant des torrents de boue, glissant rapidement sur des plaques de glace, marchant dans des baignoires de soupe mal réchauffées, nous parvenons enfin au village, retrouvons nos pénates, nos amis, nos habitudes...

Bref, une bien belle journée malgré des conditions pas faciles !