18-04-2022
Mont Blanc
1600
3700
AD
13h
2

 

 

3h30 : le réveil sonne. Pendant quelques secondes, je ne comprends pas où je suis. Je me redresse doucement, je suis emmitouflé dans toutes mes couches (nous avons eu la surprise de découvrir en arrivant au refuge l'absence de couvertures...).

Telle une zombie, je me dirige vers le petit local que nous avons aménagé en nid douillet. Ca s'agite autour de moi, les GAULois parlent, je suis absente... Je demande si on commence par monter ou descendre, je vois les lèvres d'Emeric bouger mais sa voix peine à transpercer les brumes qui engourdissent encore mon esprit... Je le fais répéter... Il faut peauter...

Après avoir englouti mes tartines de confiture estampillée "Terrasse sur Dorlay", imperceptiblement, j'accélère le rythme pour me retrouver à 4h30 skis au pied. Contrairement à la veille, nous avons respecté l'horaire !

Sous la pleine lune, la neige scintille, l'ambiance est magique, à peine troublée par le crissement des couteaux. La pente se raidit, nous arrivons bientôt sur le Glacier d'Estelette. L'un de mes couteaux se déplace sur la fixation, je suis sans cesse obligé de le repositionner, je maugrée, je m'énerve. Deux petite loupiottes descendent du Col d'Estelette et finissent pas nous rejoindre. Emeric discutent avec eux, ils ont emprunté la veille une grande partie de l'itinéraire que nous allons parcourir aujourd'hui. Ils nous conseillent d'arriver très tôt au pied du Col de la Scie, ils évoquent un mur de glace sur l'arête menant à l'Aiguille des Glaciers. Fouilla, ça ne va pas être simple ! Comme d'habitude, Emeric dit qu'il n'est pas inquiet.

Je rejoins finalement le groupe au pied du raide couloir que nous devons emprunter, j'ai perdu beaucoup d'énergie à pester contre mon couteau baladeur. Skis sur le dos, crampons aux pieds, c'est au milieu du couloir qu'Emeric déclare que nous ne sommes pas au bon endroit, il aurait fallu monter plus haut sur le glacier... Foutus pour foutus, autant aller voir où ce couloir débouche... mais je ne m'imagine vraiment pas le redescendre à reculons.

Après 200 mètres de dénivelé, la pente finit par s'adoucir. Emeric, appareil photo en main, confirme mes pires craintes : le couloir ne permet pas de traverser, il va falloir le redescendre. Je fais encore quelques pas pour déboucher au soleil sur un vaste replat du Glacier de la Lée Blanche !!! Sauvés !

Après une courte pause, le groupe s'éparpille sur cet immense glacier, la vue est époustouflante, je m'abandonne à la rêverie. Mon regard se tourne vers le Col de Scie, que nous devons emprunter : il n'apparaît vraiment pas engageant, avec ses raides pentes Est surchauffées. Loin devant, je vois Emeric dévier peu à peu vers un autre objectif, un couloir en neige très raide qui donne accès à l'Arêre Est de la Lée Blanche : je commence à m'inquiéter sérieusement mais Emeric dévie de nouveau vers l'Est en direction d'un autre couloir à droite de la face du Col de la Scie. Gloups... ça n'a pas l'air beaucoup plus engageant...

Nous commençons à remonter le couloir, bordé sur sa rive droite par des petits séracs. Finalement, ça passe bien et je finis par déboucher sur l'Arête Est de la Lée Blanche. Emeric annonce que nous allons parcourir cette arête qui semble pourtant bien rocheuse.

Nous commençons à monter sur du terrain mixte facile mais Emeric s'arrête rapidement, le terrain devenant plus exposé. Il me dit de m'encorder avec Barbara. D'un regard je sens que nous doutons toutes les deux... Olivier et Ludovic nous doublent rapidement, nous progressons doucement, le terrain devient de plus en plus rocheux. Nouvel arrêt, le temps de passer en cordée de trois : Barbara et moi nous retrouvons avec Olivier pendant qu'Emeric ouvre la marche avec Guillaume et Ludovic. En dernière position, rassurée par la corde et allégée du poids de la position de leader, je commence à retrouver du plaisir dans cette grimpe ludique où les pointes des crampons s'insèrent facilement dans chaque interstice de ce joli rocher orangé... Au soleil sur cette magnifique arête aérienne, je me régale, j'en oublierai presque le poids des skis sur le dos !

Et finalement, après 2 heures d'effort, nous débouchons au sommet de la Lée Blanche (3697 m) ! Le panorama sur le Massif du Mont Blanc est fantastique, quel bonheur !

Mais Emeric annonce que nous sommes en retard sur l'horaire et nous repartons rapidement en direction de l'Aiguille des Glaciers. Au-dessus du Col de la Scie, j'aperçois quelques dizaines de mètres en glace bleue : gloups !

L'arête devient plus aérienne, je me concentre sur mes pieds... quand j'aperçois Ludovic face contre terre devant moi. Il est tombé de tout son long ! Je le rejoins rapidement : beauseigne, il a l'air bien sonné et se plaint de douleurs à la main et au genou. Caché par une petite pointe secondaire, Emeric n'a rien vu et continue à tirer sur la corde. Alors que je commence à regarder autour de moi pour voir si un hélicoptère pourrait intervenir, Ludovic finit par se relever et, après avoir repris ses esprits, repart doucement sur l'arête. Ouf !

Nous parvenons finalement au pied de la raide pente en glace bleue dans laquelle nous nous engageons à la suite de la cordée d'Emeric. Le cramponnage fonctionne plutôt bien, même si c'est éprouvant pour les mollets, et sécurisés par quelques broches, nous retrouvons rapidement une zone plus rocheuse. Encore quelques efforts sur une arête et nous voici au sommet de l'Epaule Nord de l'Aiguille des Glaciers (3704 m), où nous pouvons enfin décrocher les skis du sac !

Encore et toujours pressés par Emeric, nous attaquons la descente... J'enchaîne les virages sur ce vaste glacier recouvert d'une superbe moquette, je souris à m'en décrocher la mâchoire : quelle jouissance !!! Nous traversons vers la gauche pour rejoindre un collet vers 3000 m, toujours sur une excellente neige. Encore quelques dizaines de mètres et nous devons déchausser sur quelques mètres pour passer une crête. Emeric est déjà loin en contrebas, je m'apprête à le rejoindre quand Barbara émet un doute sur l'itinéraire. D'après elle, il faudrait traverser à flanc pour rejoindre un col vers 2700 m à l'Ouest des Pyramides Calcaires. Après un rapide conciliabule, on s'aperçoit qu'Emeric s'est bel et bien trompé. Quel boulet !

Nous commençons donc la traversée pendant que 300 m plus bas, Emeric a repeauté ! Après cette dernière péripétie, nous nous regroupons au fameux col pour entamer la descente en longeant les Pyramides Calcaires, toujours dans une magnifique ambiance, pour rejoindre le Refuge Elisabetta vers 15h30.

La suite ? Une pause chocolatée bien méritée, une longue descente et de nombreux déchaussages jusqu'au Duster, des doutes sur les capacités dudit Duster à franchir les ornières enneigées de la route du Val Vény, une réparation improvisée sur un parking, un Spritz Aperol envoyé valser dans un restaurant valdotain, beaucoup d'oranges et quelques citrons, un retour sans bouchons pour une arrivée au coeur de la nuit à Lyon...

Quelle journée ! Ce versant sud du Mont-Blanc a un petit gout de reviens-y :-) !