26-03-2022
Grandes Rousses - Arves
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Mael
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Ça fait déjà une petite semaine que le printemps s’est installé et que l’or blanc n’est pas tombé. A la lecture des BERA, ils sont unanimes ; l’enneigement est déficitaire.

Le weekend end est annoncé grand beau.

Après quelques recherches, je tombe sur les Grandes Rousses. Ah tiens, ça me rappelle un truc, un itinéraire de fond de tiroir qui prenait doucement la poussière. La face Est de l’aiguille Septenrionale d’Arves, elle me trottait dans la tête depuis un ptit moment.

Dimanche ils annoncent nuageux, si on doit aller voir, ce sera samedi.

Quelques coups de fils aux copains ; Mael et Maxime réfléchissent et après quelques hésitations, ils répondent présents.

 Mael, alias « le gars avec des FAT aux pieds » : sa réputation le précède, gros skieur qui ride fort et encore plus fort quand il y a deux mètres de poudre. Son ski est engagé.

Maxime, né sur les skis, sa technique est parfaite sur toute neige, des virages dignes d’un moniteur de l’ESF. Son ski est précis en toutes conditions.

 Vendredi, on part avec Max plus tôt car on a pu poser notre jour et attaquons la montée au refuge des aiguilles d’arves sur les coups de 16h. Au moment où on quitte le pont, on aperçoit un gars seul qui s’approche. Il a deux gros skis fat vissés sur le sac, une corde verte pomme de 60 m (diamètre 10,5 mm) autour du coup, les nouveaux bâtons de Paul bonhomme et le visage buriné par le soleil et le froid. Un savoureux mixte entre un type new age et un type totalement à l’ancienne, un hybride quoi. On se dit : C’est clair, ce mec ne fait pas que du tourisme à priori.

 On remonte le beau vallon sauvage un poil plat qui nous laisse apercevoir l’Aiguille centrale d’Arve sous le soleil rasant. Un dernier ptit coup de cul et hop, nous voilà arrivés au refuge des aiguilles d’Arves. La gardienne nous accueille très gentiment. Une fois les affaires rangées, on ressort et  zieute au fond du vallon en espérant voir une frontale rapidement, faut pas qu’il loupe la soupe quand même.

Mael nous rejoint 30 minutes plus tard avec 1h05 au compteur. Plutôt en forme le garçon. Après un bon repas, la question existentielle au refuge de la gardienne retentit ;  vous partez à quelle heure demain les gars ?

Le, « 6h lattes aux pieds ? », a tendu un tant soit peu mes camarades. Mais finalement on est resté là-dessus.  On apprend que le gardien et son accolyte (Baptiste, celui qu’on a croisé au départ) partiront 30 minutes après nous avec le même objectif. D’après le gardien, cette ligne n’a pas été encore réalisée cette saison et que lui-même n’y a jamais posé ses spatules.

Bien envie de lancer un tarot mais en comptant les cartes c’est la déconvenue, il manque 5 P***** de trèfle, c’est terrible. Du coup, direction le dortoir aux « murs en carton », dixit la gardienne.

La nuit sera courte. 5h15 du mat, ça sonne.

 On se fait discrets pour nos voisins mais après réflexions on n’aurait pas dû, ils nous ont bien pourri la nuit avec leurs bruits de sourds ! Un bol de thé avalé et hop je file peauter pendant que mes camarades savourent le ptit déj. Au final ce sera à 6h15 lattes aux pieds qu’on quitte le refuge. On redescend un petit peu pour gagner le vallon. Puis, nous le remontons sur une neige bien dure, le regel est au top.

C’est magnifique au petit matin, le soleil se lève doucement et éclaire gentiment les faces environnantes. Après une bonne distance sur un faux plat montant, on attaque la montée par un raide petit goulet en neige béton. Je mets direct mes couteaux, mes camarades skieurs font ça à l’ancienne à coup de carres et de peaux uniquement. L’objectif du jour se dévoile enfin, cette pente suspendue qui débouche entre les oreilles du chat par le haut et sur une imposante barre rocheuse sur le bas. On fait une mini pause au soleil, il nous reste une pente soutenue à gravir pour arriver à l’entrée de la goulotte qui se faufile astucieusement dans le ventre de roche. Un bref coup d’œil dans le rétro, toujours rien, pas de traces du gardien et de Baptiste. Bon, ils arriveront surement plus tard. A mi-pente, un deuxième coup d’œil dans le rétro, et là on voit deux gaziers qui se rapprochent de nous à grande vitesse. On est tous le Killian Jornet de quelqu’un et le Eric Moussambani d’un autre ; ils nous rattrapent.

A mi pente je stoppe, et passe en mode piéton.

Le gardien, Baptiste, Max et Mael continuent de gravir cette pente ensoleillée spatules aux pieds. Je poursuis donc en crampons et m’arrête au deuxième rétrécissement. Mode piéton activé pour tout le monde.

Le gardien prend la trace, il s’emploie, la neige est profonde et un peu sucre. Je propose à mes camarades de s’encorder, ils refusent. Je prends les pas du gardien et suis surpris de devoir m’employer également pour affiner la trace ; notre camarade n’est pas bien lourd ^^. Le ressaut au premier tiers est un petit peu besogneux à gravir avec des skis ou un snowboard sur le sac. Mais ça passe. Baptiste enchaîne derrière moi et me confirme bien que cette goulotte est terriblement sèche pour la saison.

Mael peste un peu et commence à douter sur la suite de l’itinéraire.

Finalement, sous les conseils de Max, il passe le ressaut. Les voilà tous les deux dans le goulet de neige raide. Je poursuis et arrive au dernier tiers de la goulotte. Il reste 15 mètres de glace très raide à gravir. Le gardien est passé en solo, avec Baptiste on fait de même. Arrivé au relais, on pose leur corde pour faciliter et sécuriser ce passage. Ensuite, en levant les yeux, on voit enfin cette magnifique pente de neige suspendue et oh combien elle est belle. Le soleil l’a fait cuire doucement. Il ne faut pas trop trainer. Baptiste me passe devant et rejoint le gardien.

Max et Mael s’emploient un peu et me rejoignent au relais.

Ils font un dépôt de corde au niveau de l’ancrage.

On attaque ensuite cette magnifique face Est sous un soleil déjà bien levé. Il y a peu de vent, cela nous rassure sur les conditions de neige pour la descente. L’ascension se fait rive gauche proche du grand flanc de rocher, c’est juste incroyable.

La pente est soutenue et se redresse encore plus sur les 50 derniers mètres pour frôler les 50 degrés ou pour d’autres un 45 degré bien tapé :) Les derniers dizaines de mètres se font dans une neige sucre, profonde avec du rocher glissant sous les crabes. On reste alerte. Juste avant des rochers affleurant, on scan tout, nous avons conscience que la moindre erreur peut nous être fatale. Arrivés en haut, nous sommes cueillis par une bonne brise, le matou nous souhaite la bienvenue surement, il ronronne fort :)

François : On n’est pas bien là ??!!!

Mael : Je te dirai ça quand on aura passé toutes les difficultés et qu’on sera sur le plancher des vaches !

Sur ces bonnes paroles, Mael attaque les premiers virages sautés et oh combien il les pose bien.

Quelle sensation grisante de se jeter dans cette pente suspendue sous un soleil radieux. Sous nos pieds, 300 mètres de face débouchant sur 50 mètres de barres. Ambiance.

Je me lance à mon tour et rejoins Mael. La neige est meuble et a l’air stable, c’est rassurant. Néanmoins, les rochers ne sont pas loin, nous sommes extrêmement vigilants.

Je poursuis la descente dans cette face et enchaîne, moment magique. Malgré la neige plutôt correcte, chaque virage nécessite une bonne dose de concentration.

Arrivé à un mètre au-dessus du relais, légère déconvenue ; nos camarades n’ont pas posé notre rapline et l’ont embarquée avec eux. Ce bout de ficelle nous aurait permis de passer le ressaut du bas tout juste je pense. Pendant ce temps-là, Max attaque la descente. Des virages prudents au départ et puis enchainent en sécurité, magnifique.

De mon côté, je me stabilise avec mes piolets et commence par mettre les crabes juste au-dessus du relais. Ensuite de la désescalade un poil expo pour atteindre l’ancrage. Je fixe une sangle au relais et la lance au-dessus pour sécuriser ce court passage. Je passe ensuite la cascade en rappel et me retrouve au milieu de la goulotte de neige. Une fois le rappel passé pour tout le monde, on décide finalement de franchir le ressaut à l’ancienne, en désescalade. On prend la corde fine de max pour mouliner nos sacs. Puis, on désescalade sans encombre moyennant quelques petits mouvs.

On rejoint la pente de neige raide ensoleillée ; les difficultés derrières nous, le sourire aux lèvres.

La neige est bien revenue ici, le premier virage c’est ski nautique mais on arrive à enchainer en mettant du rythme et on reste en surface, la neige est au top au final. On rejoint le refuge pour un ptit caf pour certains et un ice tea pour d’autres. Posés sur le banc, au soleil, des étoiles encore plein les yeux, ces 20 minutes sont un temps consacré à la contemplation.

Le retour au parking se fera en neige printanière ; à travers quelques ruisseaux, en déchaussant quelques fois et en randonnant à pattes sous les chalets pour enfin retrouver le pont de bois du départ.

Cette infrastructure signe officiellement la fin de cette magnifique journée dont on se rappellera encore un petit bout de temps.

 

Merci les camarades.