28-01-2023
Taillefer - Matheysine
1600
Céline
1

Je voulais juste partager cette course magnifique, que j'ai réalisée par hasard hier avec ma frangine, et que je recommande chaudement en hiver par conditions météo clémentes.

Départ au-dessus de La Morte et montée sur la crête de Brouffier, par des pentes douces damées par le passage, on s'élève tranquillement à travers la forêt puis en dehors. Là, le plan initial était de profiter de la douceur du jour et de la nivo favorable, pour passer le Pas de la Mine et monter au Taillefer. En arrivant au bout de la crête, avant de traverser à droite vers le Pas de la Mine, la croix du Sergent Pinelli brille au soleil au-dessus de nous, et à l’aplomb de celle-ci un couloir/face W intégralement en neige semble nous inviter.

C’est vrai qu’on ne monte jamais à cette Croix, que l’on voit pourtant chaque fois qu’on regarde une carte du coin ; c’est l’occasion ! Le « couloir » d’environ 150m, très peu encaissé, prend bien le vent, et nous réservera quelques sections de vitre qui nous feraient presque regretter un 2e piolet. Malgré tout, les crampons mordent bien et l’arrivée à la croix (et au soleil, simultanément) est un grand moment ; la vue est panoramique, il n’y a pas de vent, et nous sommes seuls tandis que sur la Crête de Brouffier nous comptons des dizaines et des dizaines de skieurs.

De nouveau, nous recevons l’appel de la ligne de crête menant au petit Taillefer, d’abord effilée mais qui d’après la carte devrait s’élargir à mi-chemin. Je me dis qu’en plus d’éviter une redescente, c’est l’occasion de parcourir cette belle arête qui doit rarement être épargnée par le vent. Nous nous engageons alors dans les 20 plus belles minutes de ma saison jusqu’ici, sur un fil juste assez large pour être à l’aise debout, l’œil gauche rivé sur l’austère versant NO, l’œil droit fixé sur les pentes SE abruptes mais ensoleillées. Le contraste est magnifique, la vue l’est toujours autant, et il faut bien avouer que cette sensation de dominer, seuls sur la crête, la fourmilière côté Brouffier, est enivrante.

Arrivés au petit Taillefer, nous rechaussons et nous laissons tranquillement glisser jusqu’au col du Grand Van, avant d’attaquer la dernière montée au Taillefer, qui, souvent balayée par le vent, nous offre 100m finaux de carrelage autour de 30° où les couteaux sont très loin d’être un luxe. Le sommet du Taillefer est toujours aussi exceptionnel, Belledonne, Mt Blanc, Grand Combin, Aig d’Arves, Ecrins, Bure et Obiou, toutes les Pré Alpes du nord… On ne sait plus où donner de la tête, la visibilité est très bonne, le vent est toujours absent, et le terrain de camping qui fait office de sommet est tout à fait approprié pour un instant quiche.

En redescendant au col, nous croisons un binôme qui dira nous avoir suivi au pif parce que « ça avait l’air sympa ». Ils filent vers le sommet crampons aux pieds après nous avoir vu déraper sur le carrelage de manière plus ou moins maitrisée. Un groupe de 6 est sur le point d’arriver et lorsque nous leur demandons les conditions au Pas de la Mine, ils nous parlent de corde, de « dernière chute en cas de chute », et nous déconseillent fortement de redescendre par là. On ne sait jamais à qui on est en train de parler, mais la journée étant déjà assez riche en sensations, nous jouons la sécurité et descendons sur le plateau des lacs par la combe NE.

Ici point de neige de cinéma, mais une ambiance encore très sauvage, à l’ombre, quasiment sans traces, une sensation d’isolement qui se poursuit jusqu’au lac du Poursollet où nous traversons le hameau en hivernage, désert. S’en suit une longue portion de route où nous alternons skating, plat descendant et marche pour ne pas repeauter, jusqu’à rejoindre les traces venant de la crête de Brouffier et se laisser glisser jusqu’à la fin de la journée. Nous n’aurons finalement pas vu le Pas de la Mine, alors que nous avions prévu d’y passer 2 fois !

S’il est vrai que l’inattendu rajoute toujours du plaisir au plaisir, cette boucle en hiver n’en demeure pas moins, objectivement, un superbe tour aux frontières de la haute montagne, où l’isolement et l’aspect alpin de certaines sections auront clairement transcendé nos ambitions initiales. Soyons clairs cependant, il faut choisir entre l’isolement et le bon ski, car seul le soleil de fin de printemps peut décailler cette combe NE, et il s’accompagne forcément de hordes de Grenoblois avides des dernières neiges du coin. Un bon compromis peut être de descendre par le pas de la Mine s’il est en conditions, en visant les contrepentes SE de la combe de l’Emay.

Soyons clairs également sur un dernier point ; je recommande chaudement ce tour mais plusieurs passages nécessitent de savoir cramponner de manière sûre. Le premier raidard avoisine les 50° sur quelques mètres, certains passages en vitre sous la croix du sergent Pinelli dépassent les 40°, et l’arête suivant la Croix ne pardonne pas un coup de crampon peu aguerri dans le pantalon. Dans les 2 derniers cas, la chute est mortelle. Cette précision faite, à bon entendeur, foncez ! (Par un jour sans vent)