05-07-2019
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Traversée Intégrale des Ailefroides : les gendarmes, le bivouac et le câblé salvateur...

Une grande course prend souvent son inspiration dans la photo d'une arête rougeoyante, le récit enflammé d'un camarade, la lecture d'un topo... Elle devient alors un vague projet que l'on garde dans un coin de sa tête, parfois pendant plusieurs années. On tourne autour, on se dit que c'est pour le week-end suivant, mais les conditions ne sont pas réunies : conditions, météo, forme, compagnon de cordée aguerri... un ingrédient manque toujours à l'appel, jusqu'au jour où les planètes semblent s'aligner...

Pour moi, la traversée des Ailefoides commence il y a bientôt 15 ans, à la lecture de quelques lignes du topo "Ecrins – Ascensions choisies" de F. CHEVAILLOT et JR. MINELLI :

"Nous vous présentons dans cet ouvrage trois des plus belles traversées d'arêtes : l'Ailefroide, les Ecrins et la Meije, bellissime trilogie, mirifiques arcs tendus en plein ciel. Qui n'a rêvé de réussir le grand chelem, de chevaucher trois des grandes montagnes du massif."

D'abord rêve inaccessible, cette trilogie de l'Oisans a commencé à devenir réalité à la Meije en 2009 avec mon frangin et un bivouac mémorable au pied de la Muraille Castelnau. Puisque j'avais aimé cette traversée magique, j'ai remis le couvert 4 fois, et notamment avec tout un groupe de GAULois au camp de 2017 (Gilles, Olivier, Minh, Anthony et David). Entre temps, j'avais réalisé la traversée de la Barre des Ecrins au camp du GAUL de 2016 avec un vieux pote, dans des conditions pas évidentes...

Restait donc la plus longue : la traversée des Ailefroides.

La démocratie GAULoise ayant choisi un camp 2019 à Ailefroide, je ressors des cartons ce vieux projet et le note dans le "fichier des envies" du camp. Quelques jours passent et Antoine m'envoie un p'tit SMS : je tiens là un compagnon de cordée solide ! Nous planifions la traversée pour le vendredi de la première semaine du camp. Reste plus pour moi qu'à reprendre un peu l'escalade : voilà plus de 2 ans que je n'ai pas grimpé...

Et c'est donc le jeudi 4 juillet dans l'après-midi (après l'ascension de l'Aiguille du Pelvoux, compte-rendu à venir) que je retrouve Antoine qui monte au refuge du Pelvoux "pour s'échauffer". Nous sommes chargés comme des mulets puisqu'on prévoit de bivouaquer sur l'arête pour pouvoir traverser jusqu'à l'Ailefroide Occidentale et ainsi faire la traversée intégrale (que les topos donnent en 18 à 20 h refuge/refuge). La journée du vendredi est annoncée sans risque d'orages, contrairement à toutes les précédentes : quand je vous parlais d'alignement des planètes !!!

Au Refuge du Sélé, nous retrouvons Sylvie et Elodie qui ont prévu pour le lendemain de réaliser l'Ailefroide Orientale : nous serons donc 4 sur la première partie de l'itinéraire ! J'ai le secret espoir que cela contribue à ralentir Antoine, qui annonce que nous ne devrions mettre que 3h30 pour atteindre le sommet de l'Orientale (alors que le topo dit 5h !). Pour ma part, j'ai quelques doutes sur ma condition physique et mon acclimatation, je table donc sur 5h.

Petit briefing de Raoul, le gardien du Sélé :

- "Dans le Gendarme Noir, ça a l'air très dur, on est tenté d'aller à gauche ou à droite, mais il faut absolument rester sur le fil. C'est du IV. Bon, dans la vallée, ça serait sûrement côté 6a !".

- "Pour la Pointe Fourastier, il ne faut pas suivre les pitons, mais traverser très à gauche !"

Vendredi, 4h : c'est donc le départ du refuge du Sélé. Le poids des sacs se fait sentir malgré l'allègement décidé la veille : les chaussons et les doudounes sont restées au refuge ! Dans la nuit, les frontales d'une cordée guidée nous montre l'attaque, nous prenons pied sur de jolies vires commodes. La fin de la voie normale estivale de l'Ailefroide Orientale se déroule sur de superbes pentes de neige raides "plein ciel" qui me rappelle un excellent souvenir sur ces mêmes pentes (deux ans, déjà !).

Nous rejoignons le sommet à 9h après 5h de course : nous sommes dans les temps ! Après une longue pause, nous laissons Sylvie (qui, je le vois dans ses yeux, nous aurait bien suivis...) et Elodie, avec un petit serrement de coeur.

Commence alors la traversée : des pentes neigeuses qui permettent de contourner quelques gendarmes nous mènent jusqu'à la brèche du Glacier Noir, au pied du fameux Gendarme Noir qui s'escalade en 2 longueurs de 30 mètres.

Antoine se lance à l'assaut, hésite, se tord, souffle... et retombe au sol. Heureusement, ses pieds n'ont pas glissé sur les raides pentes de neige. Impossible de se vacher au pied du gendarme... Une nouvelle tentative lui permet de passer ce premier pas retors, et la suite de la longueur semble dérouler plus facilement.

J'attaque alors le Gendarme Noir, la corde me tire vers la droite dans ce fameux premier pas malcommode, je m'assois dans le baudard : Raoul n'a pas menti, pour moi c'est au moins du V+ !!! Malgré le soleil, le rocher est très froid et l'onglée guette... Heureusement, la suite est plus facile, mais toujours très raide dans un rocher excellent. "C'est un miracle qu'on puisse grimper sur le fil dans un terrain aussi raide !".

A moi la 2ème longueur en tête, toujours sur un beau rocher raide et prisu. J'hésite un peu sur un pas plus fin, puis la suite déroule mieux. Nous voici au sommet, nous nous tapons dans les mains. "GENDARME NOIR : CHECK !".

Nous continuons le plus souvent sur le fil jusqu'au pied de la Pointe Fourastier. Une corde fixe marque le chemin... à ne surtout pas suivre ! On traverse à gauche puis on emprunte une cheminée qui m'obligera à quitter le sac sur quelques mètres. Ici encore, le rocher est superbe et la grimpe très esthétique ! "POINTE FOURASTIER : CHECK !"

S'ensuit un véritable peloton de gendarmes que l'on gravit tantôt par le fil, tantôt par de petites vires aériennes en face sud. L'un d'entre eux nous oblige à tirer un petit rappel d'une dizaine de mètres. Il est 15h30 : "AILEFROIDE CENTRALE : CHECK !"

Après une courte pause, on repart sur le fil jusqu'à venir dominer la Brèche de Coste Rouge, que l'on doit rejoindre avec un rappel de 40 m. Je sors donc du sac ma cordelette Back Up Line flambant neuve (cordelette statique de 5 mm de diamètre) qui devrait nous permettre de récupérer notre brin de 50 m après le rappel. Bon, il doit exister une méthode pour délover pour la première fois une cordelette, car 30 minutes plus tard nous sommes encore entrain de démêler ce sac de noeuds !!!

La brèche de Coste Rouge offre un terrain bien péteux, on contourne un n-ième gendarme rouge, Antoine lâche un "je commence à comprendre pourquoi les gens s'arrêtent à la Centrale !". Les gendarmes en rochers brisés et les vires délicates se suivent, c'est interminable !

Il est 18h, nous en sommes donc à 14h de course, et nous n'avons toujours pas vu d'emplacement de bivouac digne de ce nom ! A vrai dire, les traces de passage sont même invisibles, nous sommes immergés dans l'"Oisans Sauvage". Je commence à m'imaginer passer la nuit assis sur une mauvaise vire...

Mais vers 18h45, à plus de 3900 m d'altitude, nous trouvons finalement un bel emplacement de bivouac sous un "sommet en ruine" (dixit le topo). Soulagement... mais pas le tems de se reposer, il faut redescendre chercher une réserve de neige pour faire fondre de l'eau, préparer la soupe, réhydrater les plats lyophilisés...

Vers 20h30, nous pouvons finalement gagner nos duvets. Pour ma part, je m'écroule comme une masse avant même le coucher du soleil !

Au milieu de la nuit, je jette un oeil au travers de la minuscule ouverture de mon sac de couchage, cocon de protection face au petit vent frais qui ne nous a pas lâché depuis l'Orientale. Sous un tapis d'étoiles, rapide coup d'oeil à droite : bonne nouvelle, Antoine est toujours là, il n'a pas roulé 1000 mètres plus bas... "BIVOUAC : CHECK !"

Après une bonne nuit de sommeil, j'ouvre les yeux vers 7h :

- "Ah tiens, il fait déjà jour !

- Ca fait 2 heures qu'il fait jour mais toujours pas de soleil !"

Confortablement installés dans notre nid haut perché, nous assistons à un lever de soleil magique en attendant patiemment que l'atmosphère se réchauffe...

Peu avant 9h, nous repartons, toujours sur un fil plus ou moins brisé. Vire descendante franchement exposée, dièdre, dalle fissurée, desescalade... nous voici au pied de la cheminée finale, englacée dans sa partie basse. Ce final est enfin en bon rocher, dans une superbe ambiance aérienne : on en redemanderait presque !!! Et nous voici finalement au sommet vers 10h45 : "AILEFROIDE OCCIDENTALE : CHECK !"

Mais la course n'est pas terminée, il faut continuer encore longuement sur l'arête, avant de basculer en versant sud... Mais où ? C'est loin d'être évident. Nous faisons une première tentative dans un terrain franchement pourri, avant de nous rendre compte que nous sommes descendus trop tôt. Traversée à droite, descente de pentes neigeuses, desescalade... nous rejoignons finalement le névé suspendu de la face sud, où un couloir nous mène à un relais. Deux rappels sur d'antiques pitons nous conduisent une quinzaine de mètres au-dessus du glacier, à proximité de la Brèche des Frères Chamois. Antoine cravate un dernier relais (piton neuf + petit câblé), sans doute ajouté pour s'adapter au retrait glaciaire.

- " Euh, là, si un point pète, tu finis en bas...

- Bof, de toute façon, un câblé, ça tient toujours !"

Antoine descend d'une dizaine de mètres quand retentit un tintement d'origine inconnue... Je lève la tête, énorme poussée d'adrénaline... Le piton a choisi de quitter sa fissure, le "relais" ne tient plus que sur le câblé.

"Stop, arrête tout, le piton s'est barré, je me dévache !!!"

Antoine termine son rappel et prend pied sur le glacier, je le rejoins en desescalade... Ouf !

Le retour est encore long, d'abord sur la neige réchauffée du glacier qui semble adorer coller sous mes crampons et me faire partir en glissades plus ou moins maîtrisées. Puis vient le raide terrain morainique et enfin le vallon éponyme du Refuge du Sélé, que l'on atteint vers 16h30.

Après une courte pause, nous reprenons la route pour retourner au camp. A 20h, je rejoins tous les GAULois autour du traditionnel banquet, sous les vivats ! Tous les GAULois ? Non... Antoine, lui, est déjà reparti en mission pour secourir des cordées égarées... SOLIDE le gars, je vous disais...

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TRILOGIE DE L'OISANS : CHECK !