20-07-2019
Ecrins
2200
1874
4102
TD
38H
2

4 ans. C'est le temps qu'il aura fallu pour concrétiser cette course, sur laquelle nous avons d'abord échoué pour rebondir sur d'autres. Un échec créatif en somme. 2016 : le Pilier Sud nous paraissait trop ambitieux, nous nous rabattons sur la traversée de la Meije. 2017, le gardien du refuge du Pré de Mme Carle nous ayant fait douter des condition de la voie, nous nous sommes rabattus sur ... la course voisine du Pilier Sud de Barre Noire. 2018, devant des créneaux de seulement deux jours de beau, nous avons parcouru Sialouze et nous avons été visiter le Roi de Siam à Chamonix. Mais le projet est resté et ni la volonté, ni l'envie ne se sont affadies avec le temps. Et puis 2019 est arrivé...

1er jour (Samedi 13): de la Rimaye à la grotte.

Nous nous retrouvons en début d'après midi sur les tables du refuge du Pré de Madame Carle. On fait le point sur la météo, celle-ci s'annonce très bonne : un temps dégagé, stable et sans vent. Le seul élément qui nous questionne, c'est que toute la semaine précédente les prévisions pour le lundi ont fait le yoyo, entre beau temps et précipitations. Mais à l'instant, tout les voyants sont au vert. A l'origine, notre stratégie prévoyait un bivouac aux Balmes François Blanc, et un second à la sortie du Miroir. Il est tôt, on décide de prendre un peu d'avance et d'attaquer immédiatement la face, en visant un bivouac dans le socle.

Romain a pris Claire D. en stop. Elle partait randonner du côté du Glacier Noir et nous accompagne, nous portant même la corde sur une petite portion. Puis vient le moment de l'abandonner et se jeter à notre sort. Nous rejoignons par un pierrier instable vers le glacier, que l'on parcoure tranquillement, puis remontons le long de la pente de neige sous le socle en essayant d'éviter les zones sur lesquelles trop de pierres viennent s'abimer. La Rimaye sera notre premier problème, elle se fracture en plusieurs morceaux. Difficile de savoir sur quoi nous marchons. Deux options semblent jouables: descendre au fond de la glace et remonter en face sur un ressaut lisse et complexe à protéger, ou s'engager sur un pont de neige aussi fin que douteux. Nous optons pour cette seconde solution malgré qu'elle ne nous inspire aucune confiance.  Au final plutôt solide, le pont  nous permet de rejoindre le rocher. Cette partie n'est pas si facile et elle doit être bien changeante au cours de la saison !

Nous montons ensuite tranquillement dans des zones faciles mais déjà exposées. Des pierres roulent facilement sous le pied qui se doit d'être sûr. Romain a une bonne lecture de l'itinéraire. Nous commençons à grimper, alternant court ressauts verticaux et plateformes recouvertes d'éboulis. A côté de nous, le couloir des Avalanches à côté duquel nous remontons peu à peu. L'itinéraire reste d'abord proche de ce couloir, puis, face à une muraille, on part vers la droite pour la longer assez longtemps, jusqu'à rencontrer le système de vires et de cheminées en III qui part vers la gauche. L'escalade est une succession de renfougnes et de séquences répétitives : un pied qui monte, l'autre en opposition, monter les pieds en opposition puis basculer d'un coté, tirer sur les bras et passer. Je ne sais pas si c'est le poids du sac, mais cela me semble plus du IV que du III.

Au bout de plusieurs heures et déjà 1300 m depuis le Pré, nous sommes à 3150m et un peu rincés (notamment moi). Nous avons dépassé les bivouac indiqués à 3000 : ceux ci ne nous semblait offrir aucune protection quant aux chutes de pierres. Le bivouac suivant, dans la zone où se séparent les voies de l'Arête Rouge et du Pilier Sud n'est surement pas loin, mais il est 20H passé. Romain trouve une zone dans une cheminée, elle est étroite mais plane et devrait nous abriter pour la nuit. Même si elle fort exigüe, elle est sécurisée et nous abrite des chutes de pierre. Nous nous y calfeutrons. En étendant les jambes, celles-ci pendent dans le vide : ce ne sera pas une nuit de rêve. Romain a un duvet, j'ai une couverture de survie. Nous nous vachons, installons le matériel, mangeons et tentons de dormir tant bien que mal. Les positions de sommeil sont inconfortables et provoquent des réveils fréquents : un coup couché, un coup en chien de fusil, un coup assis... Mais la vue est magnifique et presque fantasmagorique : de notre petite grotte, nous voyons la face de la Barre sur laquelle une Lune orangée et vivace projette les ombres des Ailefroide. Pas mal d'étoiles filantes passent dans la nuit. Je me sens bien. Désormais, nous ne pouvons sortir que par le haut, quoiqu'il se passe.

 

Deuxième jour (dimanche 14) : ça grimpe !

5H30, le jeu reprend. Je me sens mieux qu'hier et je pars en tête. Les mêmes mouvements pour passer les cheminées, du III qui n'est toujours pas du III, mais qui passe bien. Nous arrivons rapidement aux bivouacs, à la séparation des voies de l'Arête Rouge et du Pilier Sud. Ceux-ci était bel et bien juste au dessus de nous, et il s'avère qu'ils étaient grand luxe: abrités, larges, confortables et même un reste de névé pour faire de l'eau ... Rageant. De cette plateforme, un distingue la suite du programme : tout en haut, le bastion, muraille verticale et impressionnante.  Et plus proche de nous, la tour rouge. D'où nous sommes, l'itinéraire ne parait pas évident: on aurait envie de traverser vers la gauche dans du rocher brisé, mais le topo est très clair : il nous faut nous diriger vers une zone où le rocher semble bien plus compact. Quelques hésitations, nous décidons de faire confiance à notre interprétation du topo.

Nous y allons. Un piton protège le pas de IV annoncé. Au dessus, une vire invisible du bas permet de traverser la face dans sa largeur et de rejoindre le fil de l'arête. Nous avançons. Quelques pas commencent à se faire bien gazeux. Une cheminée très raide et malcomode nous fait souffrir, encore une renfougne épuisante. Au dessus, on repère facilement la variante en VI, un dièdre bien lisse que nous évitons par la droite.  Nous voici en haut de la Tour Rouge et, juste après, sa (minuscule) voisine la Tour Grise. Un peu de désescalade et nous sommes au pied du Bastion. La zone clé.

Romain part en premier et assure la traversée en IV+ / 5a qui est ... immonde. Le relais annoncé (20 m à droite) est très difficile à voir,  mais son sens de l'itinéraire lui permet de le trouver. L'atteindre nécessite de traverser sur des prises fuyantes, loin du dernier piton et sans possibilité de protéger. Je l'y rejoins en maugréant notoirement sur les cotations. J'ai un peu de mal à sortir par le système de fissures annoncées, la zone au dessus du relais s'avérant déversante (et je continue à maugréer, mais cette fois en étant en tête). Je finis par m'en sortir et à passer d'une fissure à l'autre en suivant les lignes de faiblesse. Le fait de trouver parfois un piton me rassure sur l'itinéraire, même si la pose de protections est à présent aisée. Nous continuons jusqu'à trouver la vire annoncée à droite.

Entre les hésitations sur l'itinéraire, les prises qui restent dans les mains nous obligeant à nous rattraper, les sections exposées, tout ça nous mange beaucoup d'influx. Romain parcours le système des dalles fissurées qui s'avère de nouveau difficile à protéger et très gazeux. Les fesses au dessus du précipice, on imagine très bien l'aller-simple vers le glacier noir. Mais nous voici au pied du mur terminal du Bastion. Romain m'annonce deux nouvelles. La bonne : il a trouvé le relais annoncé, confort et sur deux pitons déjà reliés, quel luxe. La mauvaise : il faut grimper au dessus et c'est ... lisse. A ce stade, le topo parle d'une corniche. En neige, je vois ce que c'est, mais en rocher ??? Le mur est compact, il faut monter et je ne vois rien pour mettre des protections. Par où prendre la chose ??? J'hésite et j'ai la trouille. Je monte, je descends. Je monte, je descends... Si je ne monte pas, c'est Romain qui s'y colle. Cette pensée me motive et je me lance sur le cheminement qui semble le plus facile. Je parviens à mettre deux petits friends et je continue jusqu'à trouver un piton sur lequel je demande à Romain de me prendre sec, vidé. Je me reprends et je continue jusqu'à un relais. Normalement, le topo parle d'une traversée à droite : c'est le passage annoncé en V+. Mais là, vraiment c'est encore plus lisse (oui, c'est possible!), il faut franchir une joue qui masque la suite, on ne sait pas où l'on va ... Alors qu'au dessus de nous, 3 beaux pitons ... Romain et moi convenons d'artifer et il me propose de m'y coller. J'y vais et cela passe plutôt bien. Je sors du Bastion !!! Nous voici enfin au Miroir, cette zone de rochers lisse que l'on voit briller depuis la vallée. Sur cette belle dalle, on tient debout sans les mains. Il est environ 16H, nous sommes à 3850 m. Nous hésitons sur la suite du programme. Il n'est pas si tard, et une sortie aujourd'hui est envisageable, mais nous sommes épuisés, physiquement mais surtout mentalement. Dans cet état, gérer la sortie au sommet et la redescente parait dangereux, ça ne s'annonce pas si difficile mais il vaut mieux être alerte lors de la descente du Dôme. Alors, malgré les nuages qui nous ont pris depuis une ou deux heures, et le vent qui se lève, nous convenons de nous poser au bivouac juste au dessus du Miroir. Il est plus large que celui de la nuit précédente, mais totalement exposé au vent, qui ramène de l'air froid depuis les pentes au desssus de Temple-Ecrin. On tente tout de même l'appel à un ami: contacter le PGHM pour s'assurer de la météo et ne pas se retrouver coincé. Mais le téléphone ne parvient pas à accrocher de réseau. Nous sommes plus seul que jamais. Nous voilà rapidement couchés, bien avant la tombé du jour. En bas, chacun doit être à l'apéro, voir carrément encore sur les sentiers, tranquilles. Mais nous, nous tentons de trouver le sommeil. La nuit s’avérera est rude et très froide pour moi.

 

Troisième jour (lundi 15) : d'un monde à l'autre.

3H30, réveil glacial. A un moment de la nuit, le ciel s'est dégagé, générant un espoir, mais rapidement, des nuages bien plus menaçant ont masqué les étoiles, et le vent déjà important a forci. Il faut partir dans le noir, à l'assaut de deux gendarmes qui nous ont surplombé toute la nuit. Pour les 300 derniers mètres le topo annonce : "300 m de course d'arête en III/IV, à ne pas négliger". Tu parles ! Ça grimpe et ça réchauffe tout de suite ! Je passe le premier gendarme sans savoir si l'itinéraire que je choisis est le bon pour la suite, même s'il paraît logique. Au deuxième gendarme, j'ai deux choix, à gauche, une escalade sur du rocher lisse improtégeable, à droite, un pas sur une petite plateforme qui permet de contourner un bombé déversant juste au dessus d'un vide noir qui s'étend très probablement jusqu'au Glacier Noir. Le dévers renvoie méchamment vers l'abime. Je craque et je demande à Romain d'y aller. J'évoque même un appel au PGHM à ce moment, idée saugrenue au regard des conditions météo rendant de toute manière un secours impossible. Romain y va et passe, malgré ce que je pense être une très forte répulsion. On bascule par une brèche coté Temple-écrins, et remontons dans des pentes de rochers brisés. C'est  moins difficile et moins grimpant, la progression y est à la fois plus simple, moins fatigante et surtout bien moins impressionnante. ça nous permet de requinquer un peu notre mental amoché. Mais le mauvais temps nous masque les environs, on ne sais pas trop où on va. De temps en temps, on tombe sur un ressaut où il faut à nouveau sortir les bras. Dans une cheminée dans lesquelle subsiste de la glace, Romain utilisera même la broche de son kit de glacier pour protéger le pas. Une première dans une course que l'on qualifiera de rocheuse. Nos altimètres nous permettent de nous accrocher : nous approchons de la Barre. Ce doit être l'un de ces gendarmes qui sortent du brouillard au dessus : mais lequel est le plus haut ? L'altimètre indique 4060 et un grésil nous surprend, finissant de refroidir un air déjà bien rafraichi et venant fouetter nos visages avec force. Romain me propose de repasser en tête. Je pars sur des prises glissantes, qui sont rapidement recouvertes par cette fine couche de grésil. J'ai froid aux mains. Les conditions sont hivernales. L'ombre d'un dernier ressaut au dessus. C'est forcément le dernier ...  Et oui, la Croix des Ecrins sort du brouillard. Il est 7H50.

Incroyable, nous avons fait la voie du Pilier Sud !

Nous aurions aimé profiter du sommet, de la vue, et souffler après cette ascension. Se prendre en photo. Crier, hurler de bonheur d'en avoir fini avec 4 années à rêver et ces 3 jours à en chier. Mais l'heure n'est pas aux réjouissances. La météo est terrible, mais pourrait encore empirer. Le vent glacial souffle si fort qu'il nous congèle sur place. Nous ne sommes pas paniqués, mais une certaine inquiétude se fait tout de même sentir. Alors on ne perd pas une minute, on sort les crampons et Romain descend à toute vitesse la voie normale de la Barre. Je lui demande régulièrement de ralentir, n'ayant pas sa rapidité d'exécution en déséscalade. Nous sortons par les rappels de la Brèche Lory, dans laquelle s'engouffre un vent polaire. La suite est classique, nous descendons dans les pentes du Dôme, je cherche la trace que le vent, la neige et le brouillard rendent assez pénible à suivre. Nous avions vu redescendre depuis la Barre quelques cordées qui s'étaient aventurées sur le Dôme, mais nous sommes seuls dans la descente à ce moment. Mais enfin, nous franchissons les derniers séracs, nous regagnons le plat du Glacier Blanc et passons sous les nuages. Nous savons que nous avons déjà réduit beaucoup de facteurs de risque.

Le retour jusqu'au Pré sera ... long. Le premier être humain que nous rencontrerons sera un photographe, à la limite de la moraine et du Glacier, demandant si c'est dangereux d'aller s'y promener seul... Nous finirons par arriver au Pré, bien épuisés, mais fiers et profondément heureux. Le sentiment de s'être donné un objectif et de l'avoir atteint, le sentiment d'être allé au bout et d'avoir tenu.

Quatrième jour, où il faut conclure

Le Pillier Sud de la Barre des Ecrins est clairement une très grande course. Longue et difficile, et à l'engagement total. Nous savions dans quoi nous nous engagions, et pourtant nous avons étés surpris. La grimpe par exemple, censée ne pas dépasser le V+ nous a paru plus difficile et plus technique que le VI du pilier sud de Barre Noire. Plusieurs comptes rendus annonçaient une course en demi-teinte "300m de grimpe dans le bastion pour 1000m de marche dans des gradins". J'ignore qui écrit ça, mais pour 1000m de gradins, ça nous a semblé soutenu et bien raide. A l'inverse, là où la face est réputée extrêmement péteuse, nous avons trouvé que le rocher n'était pas si pire, et même souvent assez bon. Bien sur, on est sur un rocher Oisans où la vigilance reste de mise, et nous étions content de n'avoir personne derrière nous vu les frigo que nous avons parfois envoyé rejoindre le glacier. Mais ça reste dans des standards acceptables. Quant à notre choix de bivouaquer, il nous a alourdi et probablement ralenti, mais parcourir tout ça dans la journée semble un travail titanesque. Et puis, la petite marge de sécu que ça offre est bienvenue, vu l'engagement de la course. Si c'était à refaire, nous opterions peut être pour un départ tôt de Mme Carle au lieu de notre départ en début d'aprem'. ça nous aurait surement permis de bivouaquer au sommet de la tour rouge, et nous aurions pu sortir en 2 jours. ça nous aurait évité la déconvenue météo du 3eme jour.

Ces points factuels étant abordés, passons à un ressenti très subjectif: que c'était beau, que c'était grand, que c'était ... ! Nous ignorons si un jour, nous aurons à nouveau le courage ou l'occasion de nous frotter à si grosse course, mais nous sommes véritablement gavés de souvenirs merveilleux : de souvenirs du paysage, au dessus duquel le regard d'élève lentement. De souvenirs du cadre, de ce pilier que l'on fini par considérer comme un personnage à part entière, parfois notre ami, parfois notre ennemi. Et surtout, de souvenir de la cordée, liée l'un à l'autre par la corde mais surtout par ce rêve.

Rémi remercie Romain pour ce projet et tous ceux qu'il a entrainé. Pour sa force et sa sympathie en montagne.
Romain remercie Rémi d'avoir su initier de rêve un peu fouet de n'avoir jamais rien lâchè, toujours dans la bonne humeur.
Romain & Rémi remercient le Pillier Sud d'avoir motivé tant de projets, et de nous avoir tant fait progressé mois après mois!
Et Rémi d'adresser un grand merci à sa compagne de l'avoir laissé terminer ce projet, malgré une petite Romane qui n'a pas encore 3 mois.