12-08-2022
Ecrins
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D
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"Qu'importent les orages, ou le bleu infini ; le temps que je préfère est celui que je prends."

C’est avec excitation que je retrouve Aurélien sur le quai peu après 13h. La perspective de réaliser 2 voies sur le rocher magnifique du cirque du Pavé, et de passer 2 nuits à la belle étoile dans ce coin sauvage des Ecrins, promet un beau week-end. Le trajet se passe bien et le bus nous lâche à 17h20 au col du Lautaret, où Aurélien taxe un dernier muffin à la myrtille au foodtruck du coin avant de rompre les liens avec la civilisation. La montée est toujours aussi longue et il nous faut 3 heures pour atteindre notre bivouac, situé un peu en aval du refuge. 4 quiches plus tard (mais non, pas chacun, enfin !), nous voilà au lit, déjà prêts à en découdre avec le rocher.

C’est avec inquiétude que nous sentons le vent se lever dans la nuit, des bourrasques imprévues se succédant et semblant tester notre détermination pour la course du lendemain. En effet, dans le topo de cette arête S intégrale de la pointe Emma, résonne dans nos têtes cette phrase au 4e tiret de la section Remarques : « course d'arête très aérienne et soutenue pour funambules des cimes ».

C’est avec allégresse que je ressens au matin le soleil me caresser la joue ; en effet, quoi de plus beau qu’un bivouac sans réveil, où la frontale fait place aux Ray Ban, où l’escalade visée se laisse appréhender depuis le duvet, où je peux réveiller mon compère en braillant son prénom. Nous filons au pied de la pointe Emma, en prenant le temps d’aller remplir nos gourdes au lac et de saluer l’aide-gardien au refuge ; on ne va pas se presser tout de même, on n’est pas là pour ça !

C’est avec déception que nous abordons l’accès à l’arête vers 10h, dans un rocher péteux à souhait qui me fait me déplacer au fur et à mesure de la progression d’Aurélien, ceci afin d’éviter de ramasser sur la courge une écaille plus grosse que moi alors que je l’assure. Mon camarade semble avoir mieux lu le topo que moi ; ou peut-être est-ce les 11h de sommeil de la nuit qui ne m’ont pas suffit, toujours est-il que suivre la corde sans faire d’histoires me permet sans aucun doute d’arriver à l’attaque plus rapidement que si j’étais parti devant.

C’est avec émerveillement que nous attaquons ensuite l’arête proprement dite, dans un rocher splendide et impeccable de type « Cavales », qui nous mènera au sommet à travers des difficultés modérées mais grimpantes, dans une ambiance gazeuse à souhait et par un cheminement varié et agréable bien que très propice au tirage. La course n’est pas longue et le temps de régler l’encordement, assez long pour nous protéger correctement mais pas trop pour limiter les angles droits entre les becquets omniprésents, et nous approchons déjà de la cime. Les rafales se sont transformées en petite brise, inoffensive mais bien fraiche, et nous devons enfiler une veste. Un scandale en cet été 2022.

C’est avec tristesse que nous constatons depuis le sommet, un glacier carré qui commence à porter très mal son nom et l’accès à la brèche de la Meije totalement sec, ce qui nous gâche presque le plaisir habituel de contempler la Reine des lieux dans une tempête de ciel bleu. J’en oublie de sortir les crocos et nous entamons la descente aisée qui nous permet de revenir dans les éboulis ayant remplacé les névés habituels de la zone. La course, bien que très jolie, nous semble bien surcotée à D- et nous nous accordons sur un AD+ qui parait plus logique.

C’est avec circonspection que nous accueillons les infos météos fraîches de la gardienne du Pavé. Cette dernière, par ailleurs extrêmement sympathique, nous annonce des prévisions pour le lendemain (jusqu’ici assez litigieuses) qui tendent vers le mieux. Avant de consulter météoblue qui eux indiquent des orages le matin. Je suis d’avis de partir très tôt le lendemain, et de prendre une décision au pied de la voie. Aurélien, fort d’une sagesse infinie acquise grâce à ses années Grenobloises aux barathons hebdomadaires, est méfiant et me prévient : « Qui n’écoute pas assez la météo, risque de ne plus jamais aller au bistrot ! ».

C’est avec joie que je repars du refuge après 1 heure de sieste et 1 négociation ardue ; nous déplacerons le bivouac vers l’embranchement entre refuge du Pavé et sente d’accès aux Cavales. Le soir, nous reviendront auprès de la gardienne glaner les dernières prévisions météofrance. Si ces dernières sont bonnes, nous partirons le lendemain à l’aube pour parcourir, toujours sous réserve d’un ciel clément, la voie du Génépi au pic Nord des Cavales, courte de 160m. Après avoir aménagé le nouveau bivouac, nous dinons de bonne humeur, pleins d’espoir, et retournons au refuge.

C’est avec dépit que nous entendons la gardienne placer les mots « instable », « orageux » et « matin » dans la même phrase. Au milieu de cet été de soleil infini, il semblerait que nous soyons tombés sur le seul créneau d’impraticabilité de la montagne. Seule la perspective d’une nouvelle grasse matinée parvient à m’arracher un sourire, qu’Aurélien efface en proposant de mettre un réveil de principe pour ne pas se faire cueillir au lit par la sauce. Je lui concède que se faire tremper sans même avoir fait la voie serait bien malheureux. Nous nous endormons, tout de même heureux d’être là, au frais, entourés de ces montagnes majestueuses pour lesquelles nous vivons, mais qui aiment décidément bien se faire désirer.

C’est avec colère que je ressens au matin le soleil me caresser la joue ! « Aurélien ! ». L’homme émerge et regarde sa montre indiquer 7h30, d’un air « mépourquoiilmeréveilledéjàlautre »esque. « Regarde, il fait grand beau ! A l’heure qu’il est on serait déjà à la 2ème longueur ! Allons lui cramer son refuge à cette gardienne annonciatrice de malheurs ! ». Malheureusement, il est trop tard pour partir dans la voie, et nous n’avons pas d’allumettes. Nous devons nous résoudre à sobrement lever le camp et amorcer la descente, alors qu’en 20min le ciel s’est déjà bien bâché.

C’est avec bonheur que nous sentons les premières gouttes, 30 minutes seulement après être partis. Ah, quel plaisir ensuite d’entendre claquer la foudre derrière nous, et de voir le plafond nuageux s’abaisser jusque venir coiffer les sommets du cirque ! « A l’heure qu’il est on serait à peine dans la dernière longueur ! Vive la gardienne ! Vive la météo ! ». Le front de pluie semblant plus rapide que nous, les gouttent grossissent et se multiplient alors que nous filons vers le pas d’Anna Falque au pas de course.

C’est avec espoir que nous nous hâtons alors vers Villar d’Arène, où attendre le bus de 12h45 parait un peu longuet, mais où nous pourrons peut-être faire du stop. Au détour d’un virage, je ne laisse aucune chance à 2 sympathiques randonneurs qui nous laissaient passer : « Bonjour, merci bien ! Dites, vous ne descendriez pas à La Grave en voiture avec 2 places de libre par hasard ? ». Ces deux sympathiques Parisiens, après leur week-end d’entrainement à Adèle Planchard en vue de l’ascension du Kilimandjaro (pratique que nous avons trouvé fort représentative de leur cité d’origine soit dit en passant), n’hésitent pas et nous embarquent. Dans la voiture aux abords de la Grave, j’hésite à mendier qu’ils nous poussent au barrage du Chambon, où des bus Transisère passent régulièrement. Aurélien leur demande s’ils peuvent nous descendre à Bourg d’Oisans. Les randonneurs nous proposent de nous amener à la gare de Grenoble. Ma foi, fort bien !

C’est avec appétit qu’arrivés à la gare, nous prenons le temps de nous ravitailler en vue du trajet en train. Oui, j’ai décidé que dans le cadre de l’alpinisme, l’appétit était une émotion. L’an dernier, un tacos dans le train nous avait récompensés de notre réussite à l’arête W des Fétoules. Cette année, un tacos dans le train nous aura consolé de ce but météo si décevant. Et l’an prochain… On trouvera bien un mobile, qu’il soit doux ou pas.