17-08-2023
Ecrins
3205
D
6
Mad, Jenna
1

Cette course a été suffisamment reprise par les GAULois pour qu'il ne soit point besoin d'en rajouter une couche, je parlerai donc surtout de la variante de départ.

Nous sommes montés la veille au matin au Glacier Blanc, ce qui nous a laissé le temps de réaliser une voie partiellement équipée dans le secteur, dite "Marcel Molinatti" (CR ici). Je ne puis que recommander de valoriser votre montée par cette activité, d'autant que ladite voie est d'un niveau semblable aux Cinéastes, avec un faible engagement.

Nous faisons notre toilette, remplissons nos outres et prenons notre dîner sur la terrasse du refuge, ne décollant que peu avant le coucher du soleil pour trouver le très confortable bivouac, maintes fois loué et à raison, à 5-10min derrière le refuge. Aires gazonnées et protégées de murettes en pierre, ciel parfaitement dégagé... et de l'argent resté en poche, comment refuser ?

L'arête des Cinéastes est parfaitement visible depuis le bivouac, reconnaissable à sa grande vire verdâtre qui barre son flanc ouest, l'accès classique. Pour notre part, nous visons une attaque alternative et plus grimpante par la base de l'arête. Nous nous fourvoyons dans l'approche en quittant le sentier principal trop tôt, comme pour aller à la grande vire ; il faut en fait poursuivre quelques dizaines de mètres jusqu'à un gros bloc avant de prendre à gauche pour remonter la moraine. D'autres voies, comme celle du Vieux Piton, permettent de partir au plus bas pour gravir la première pointe, mais la confusion n'est pas possible, chacune étant soigneusement marquée à la peinture. La variante Chaud commence à l'extrémité droite du socle.

Une fois n'est pas coutume, Mad me propose de commencer "si ça me fait plaisir" et sans avoir à le vaincre au shi-fu-mi. Bien sûr que ça me fait plaisir ! Après un premier coup de cul en 3 qui réveille à froid, on déroule sur des dalles de plus en plus couchées. Une centaine de mètres et on arrive au pied d'un dièdre-cheminée humide et peu ragoûtant. On le remonte mais on le quitte assez vite pour traverser vers la gauche et rejoindre le fil plus joli. Un deuxième coup de cul m'amène dessus. C'est raide le 4c par ici ! Et ça me paraît bien plus difficile que le 5a+ de la veille... Je dois faire des pauses à des endroits incongrus pour que mes camarades mettent leurs chaussons ou passent un pas difficile. Quand j'hésite, c'est à leur tour d'être mal. Quelle idée de faire cette longueur en corde tendue... Pourtant, arrivé à R2, je m'entête à poursuivre. Je bénis les pitons et maudis le lichen, regrette un peu les chaussons laissés au bivouac et les protections sur les baudriers de mes compagnons. Je ne trouve pas R3 et je n'ai plus un bout de métal à la ceinture, alors je continue à monter pour trouver un bloc où faire relai.

Je passe naturellement la main à Mad pour la dernière longueur. Le rocher étant beaucoup moins bon, il est tenté de rejoindre le fil aérien et sain tout à gauche. Un piton planté de l'autre côté semble même lui donner raison. Pourtant le topo parle plutôt "de suivre une sorte de fil légèrement à gauche, et passer dans la zone de faiblesse entre les surplombs", ce qui n'encourage guère à l'extrême. Je le lui rappelle, il dit qu'il y a l'air d'avoir un pas trop difficile par là-bas. Mais là où il est il ne court pas non plus, il s'emploie même. Il finit par sortir après un long labeur et fait relai. Jenna s'engage, dit tout haut ce qu'elle en pense. J'attends de voir par moi-même. Ca ne ressemble guère au 4a annoncé... Lorsque, dans les dernières mètres, je croise une plaquette toute neuve sur une dalle lisse que je ne peux passer qu'"à la française", le doute n'est plus permis, et la photo du Cambon confirmera que nous sommes sortis par la voie du Vieux Piton (V/V+).

De la première pointe, nous voyons la brèche qui est le départ des difficultés de la voie classique, où s'agglutinent déjà 3 cordées. Nous savions la voie très courue, mais pas à ce point... Un rappel de 15m nous amène à la vire classique qui se remonte très facilement (nous étions désencordés) ; nous nous dépêchons car une autre cordée arrive d'en bas. Arrivés à la brèche, nous constatons que le bouchon est constitué de 6 allemands (en vérité leur nationalité n'a objectivement aucune importance, si ce n'est de flatter le chauvinisme du coq) qui tirent des longueurs de 50m (!). Stupéfaction, pitié et agacement se mêlent tant que nous restons cois. Méconnaissant le protocole en pareil cas, et peu certains d'être capables de doubler 3 cordées sans visibilité après la deuxième pointe, nous prenons notre mal en patience et engageons la discussion avec la cordée fort sympathique qui nous rejoint. 1/2h passe, le leader de la dernière cordée allemande part enfin. Arrive alors une autre cordée menée par un homme à la rapidité et à l'assurance d'un guide, suivi par une adolescente qui pourrait être sa fille (plus tard, elle nous confirmera toutes nos suppositions). Il s'étonne de la situation, nous félicite (ironiquement ?) pour notre patience puis se lance parallèlement aux Allemands. Il est trop rapide pour qu'ils aient même le temps de se sentir gênés. Je convaincs Mad de s'engouffrer à sa suite. On fait de notre mieux pour ne pas paraître trop grossiers dans notre entreprise de dépassement. On passe ainsi 4 allemands sans friction, puis ça bouchonne au pied des longueurs de IV à tirer sous la 3ème brèche. On se sent un peu coupables d'avoir grillé les Allemands et de les ralentir maintenant... Mais nous ne traînons pas et notre culpabilité s'évapore définitivement lorsque, arrivés au terme de l'ascension (6ème pointe) nous les voyons encore au pied de la 4ème...

Nous profitons longuement de la vue splendide sur tous les célèbres sommets environnants, puis deux rappels de 25m et une descente excessivement sableuse concluent une journée d'alpinisme très sociale sur un magnifique rocher où nous aurons beaucoup appris !