20-04-2018
Les Calanques
230
ED
Mathias

Quelques voies dans les Calanques, épisode 05: La coryphène, AKA "Sept étrons pour un couillon!"

L'histoire commence quand Mathias, un ami qui prépare sa liste de courses pour présenter le DE escalade grands espaces m'a proposé d'aller grimper avec lui. Proposition alléchante mais à bien y réfléchir ça augure de grosse escalades, pas de petites promenades. Je lui demande plus de précisions sur ce qu'il a en tête, et le voici qui me lance sur le seul itinéraire qui rentre dans ses critères: Cirque du Devenson, la Coryphène.

Ouch. Gros dossier, une voie ED-, en terrain d'av', des longueurs de 6b dans un des coins les plus reculés des calanques... En même temps, faudrait être sacrément couillon pour ne pas profiter de l'opportunité. J'accepte sa proposition, à la condition de passer en second dans les longueurs en 6+... soit une bonne partie de la voie.

Nous nous retrouvons donc au parking de la Guardiole, pour la longue marche d'approche de ce qui sera une trèèès longue journée. N'ayant ni l'un ni l'autre jamais grimpé en Devenson, on commence par se fourvoyer: voyant la grande Candelle se rapprocher de plus en plus, on décide de faire demi-tour. Nous finissons par arriver à l'aplomb du cirque, et le tracé de la voie se dévoile à nous. Ouch, ça a l'air ... chaud. C'est ici que commence cette chanson ...

♬ prrrt prrrt prrrt
c'est le bruit du clairon
prrrt prrrt prrrt
qui tache le fond de ton caleçon! ♬

Une brève recherche et nous trouvons le relais du premier rappel. Oulalà que c'est gazeux, je me sens de moins en moins en forme ... On cache une petite bouteille d'eau dans les fourrés en prévision de la sortie et on s'élance. Le premier rappel se déroule sans encombre, mais pourtant c'est là que commence un aventure qui mérite sa place au panthéon des approches foireuses. On enchaîne des rappels, des traversée de chèvre, des remontées, pour trouver des relais cachés. Un itinéraire tout sauf instinctif, chaque relais est une gageure à trouver. Et vu les trajectoires et la végétation traversée, un miracle que la corde ne se coince jamais. Finalement, nous voici au bout de ce terrain merdique. Et là commencent deux rappels plein gaz, en dévers au dessus de la mer. On se détache tellement de la parois qu'il faut bien se faire penduler pour rattraper le relais intermédiaire sous peine de se retrouver pendu tel un saucisson, condamné à une longue remontée sur corde. Le long de ces deux rappels, le petit refrain tourne dans ma tête.

♬ prrrt prrrt prrrt
c'est le bruit du clairon
prrrt prrrt prrrt
qui tache le fond de ton caleçon! ♬

Nous voici finalement posé sur une petite plateforme, quelques mètres au dessus de l'eau, complètement coincé dans un dièdre sous une paroi déversante. Autant dire qu'on se sent seul, engagement total. Deux heures trente dans ces rappels, on est impatient de commencer à grimper (et moi, je l'avoue, de retrouver un sentier tranquille). Sauf que voilà, on parle quand même d'une voie ED en terrain d'av', faudrait pas que ça déroule trop, si vous voyez ce que je veu dire. Rocher chipseux que je qualifierais volontiers de "merdique" malgré les nombreux CR C2C qui le qualifient de "correct", et itinéraire paumatoire trois étoiles au Michelin de la galère. Mathias escalade, désescalade, traverse, retraverse, à la recherche d'un passage. Je fait ce que je peu pour l'aider, mais du bas je ne suis pas d'une grande aide, à part relire à voie haute une énième fois les quelques phrases qui décrivent cette première longueur. Finalement, la plateforme où installer R1 est atteinte, par un itinéraire absolument impossible à percevoir à l'avance. Félicitations aux anciens, fallait le trouver celui-là. J'inspire un bon coup, puis c'est mon tour de m'élancer. Sauf que voilà, j'avais sous estimé l'itinéraire qui traverse quand même pas mal. Me voici donc terreur au dessus de l'eau, pendu sur les quelques prises que je trouve, à tenter d'imiter les mouvements d'un leader au niveau bien supérieur au mien. Bordel, c'est le moment de chanter cette chanson:

♬ prrrt prrrt prrrt
c'est le bruit du clairon
prrrt prrrt prrrt
qui tache le fond de ton caleçon! ♬

L1, c'est fait. Plus que 6 longueurs. Mama mia ... Une grosse fissure renfougne ou une fine fissure à doigt s'élancent parallèles jusqu'à un toit. C'est par ici que se passe la suite. Pas fan de renfougne, Mathias file dans la fissure à doigt. J'aurais préféré l'autre mais je respecte son choix. Il grimpe, grimpe ... puis se retrouve bloqué, la fissure se refermant. Il tente vainement de sortir sur le coté, mauvaise idée. Le voici qui revient, et traverse un bombé vertical lisse pour rejoindre la renfougne. " Je te prendrais sec sur le brin rouge, tu n'aura qu'à penduler si tu galère sur la trav". Mama mia².
Il monte, il monte, je pensais le relais juste sous le toit, mais non, le voici qui traverse au dessus. Aller, relais installé, c'est mon tour. Sale histoire, le rocher est encore chipseux et cette fissure à doigt n'est pas de mon gout (retirer une protection en étant en Dülfer sur la première phalange de quelques doigts n'est pas un dessert que je vous recommande). Puis voici cette satanée trav'. Pas grand chose, l'affaire d'un grand-grand-grand écart, mais c'est lisse. Arrondi. Lisse. Arrondi. Lisse. Et puis merde, j'attrape la sangle du friend et m'en sert pour me remettre doucement dans l'axe. La suite c'est une renfougne de compet, je me place au fond et laisse exprimer toute la gestuelle du dièdre. Pieds en opposition, lolote et traction sur bacos en fond de fissure. C'est pas si mal. Et me voici arrivé au relais. Un beau relais suspendu au dessus d'un dévers/toit. Les pieds quelques centimètres au dessus du vide. La mer 80m en contrebas. Mathias a triangulé les pitons déjà présent (et plus tout jeunes) avec un friend. La perspective de me retrouver pendu là dessus ne m'émoustille VRAIMENT PAS.

♬ prrrt prrrt prrrt
c'est le bruit du clairon
prrrt prrrt prrrt
qui tache le fond de ton caleçon! ♬

Aller, c'est la dernière longueur dure, le reste devrait dérouler plus sereinement, non? J'essaye de faire abstraction de tout ça, et me focalise à 100% sur l'assurage de mon leader. Le voici qui s'élance. Apparemment c'est plus facile. Il avance et rapidement sort de ma vue. Je ne devine la suite qu'en fonction des tirages de cordes et autres relâches de mou. Je suis seul. En bas, pour la énième fois le bateau plein de touriste passe. Le discours du guide résonne dans tout le cirque, et on devine très bien chaque mot. Toujours les mêmes. "Voici le cirque du Dévenson, la calanque la plus RECULEE, la plus loin de toute habitation. Il faut 5h30 de marche pour y parvenir, rendez vous compte! C'est ici que l'on trouve les itinéraires de varappe les plus LONGS et les plus DIFFICILE de toutes les Calanques! *enfin quelqu'un qui me comprend* Regardez, à droite du bateau, voici justement deux alpinistes en pleine ascension! L'un en orange, l'autre en blanc! Regardez bien! VER-TI-GI-NEUX". Quart d'heure de gloire qui se répète tout les quart d'heure.

Je suis sorti de ma torpeur par un bruit. Une pierre qui tombe, surement. Mais me voici propulsé violemment contre la paroi. Le choc me retourne, et quelle surprise de découvrir Mathias à ma hauteur, quelques mètres sur le coté, pendu la tête en bas sous un toit. La chute a été violente.

♬ prrrt prrrt prrrt
c'est le bruit du clairon
prrrt prrrt prrrt
qui tache le fond de ton caleçon! ♬

Un gros bloc est parti sans prévenir sous ses mains, et le voilà qui a aperçu la mer. "ça tient bien un hexantric!" me lance t-il avec un sourire, un regard vers le haut. Visiblement, tout vas bien. Il repart dans sa longueur. De mon coté, je remarque que le friend qui compose une partie du relais a un peu tourné. ça semble solide tout de même, et les vieux pitons m'inspirent plutôt confiance. Inutile de dire cependant que je n'ai plus une once de coton propre dans mon pantalon. Terreur de chez terreur! Suspendu dans le baudrier, mes jambes sont pleines de fourmis, mais je n'ose plus bouger. Je n'attends qu'une chose, c'est d'entendre le salvateur "relais vaché", qui marquera mon départ à jamais de cet endroit inconfortable. la délivrance finira pas arriver, je m'élance. Quel bonheur d'aller chercher des câblés et des hexantrics qui ont pris un plomb en plein dévers. Plusieurs fois, je suis à deux doigt de les laisser sur place. Je fini par rejoindre mon leader hors de la zone deversante. Il nous aura fallu 4h30 pour sortir de ces 3 longueurs. Pas de quoi craner ... Celà dit, nous voici dans une zone végétale faiblement inclinée. ça ressemble à du IV végétatif, un terrain sur lequel je me sent bien plus serein. On a plus de 60m jusqu'à la prochaine zone qui grimpe, alors on part corde tendue. Mathias rechausse ses chaussures, moi je reste en chausson. On fini par rejoindre deux spits d'une voie moderne sur lequel on fait relais. Au moment de rechausser ses chaussons pour regrimper, Mathias me demande de les décrocher de son sac. Ils n'y sont pas. On dirait bien qu'il les a oublié au relais précédent. Oups ... L'heure est plus qu'avancé, et notre corde de 50 ne nous permet pas un aller-retour propre. On décide alors de ne pas aller les rechercher, tant pis et bonheur aux suivant. Mathias, en basket, de me lancer "bon par contre ça va être galère avec ça, tu peu repartir devant?"

♬ prrrt prrrt prrrt
c'est le bruit du clairon
prrrt prrrt prrrt
qui tache le fond de ton caleçon! ♬

Inutile de préciser que je n'ai plus aucun mental, et ce depuis longtemps. Alors je décide de remonter cette ligne spitée. Un très joli 5c dans des dalles très franches. ça me parait tellement facile face aux précédentes longueurs, j'ai l'impression de voler là dedans. J’enchaîne rapidement ces 3 longueurs, et nous voici au bas de notre premier rappel. La ligne de spit continue, dans un terrain plus vertical. Je m'y élance, histoire d'en finir. le rocher y est magnifique. Rouge, avec de petits agglomérats qui forment de belles prises très franches. Par endroit, de superbes concrétions calcaire. Malgré la fatigue, je prends enfin mon pied! Je saute un relais (déséquipé) et le remplace par un friend avant de continuer. Sauf que voilà, la voie me ramène petit à petit vers le bord de la face. Plus que quelques mètres avant le relais, je suis quasiment bout de corde, et me voici à cheval sur un rebord. A ma gauche, plein gaz jusqu'au fond du cirque. Grosse ambiance qui m'aurait ampli de bonheur habituellement, mais ce jour là, c'est juste l'occasion de chanter ce refrain une dernière fois ...

♬ prrrt prrrt prrrt
c'est le bruit du clairon
prrrt prrrt prrrt
qui tache le fond de ton caleçon! ♬

Finalement, nous sortons sur le plateau. On se jette sur la minuscule réserve d'eau (on est à sec en plein cagnard depuis ... très longtemps). Je me sens vivant. Heureux de retrouver la terre ferme après ce qui restera pour moi la journée la plus "terreur" que j'ai passé depuis longtemps. Les 3 premières longueurs étaient clairement au dessus de mon niveau, heureusement que Mathias était là pour assurer le coup. L'ambiance était grandiose, le cadre superbe, et l'escalade plutôt esthétique. Mais le rocher médiocre, l'approche galère, le coté paumatoire de la première longueur et les diverses frayeurs auront gâché la fête. En bon couillon, je n'ai pas vraiment apprécié cette voie qui figure pourtant dans le top10 des plus belles des Calanques. J'aurais finalement pris bien plus de plaisir dans la réchappe équipée que dans la "vraie" voie.

Malgré tout, une grande expérience qui m'aura permis, je l'espère, de vous dévoiler tout mes talents de parolier ...