18-09-2021
Vercors
D
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En bon collectionneur de cimes, un Gaulois se doit d'apprendre par cœur tous les topos des massifs situés à moins de 3h de Lyon. Oui relisez, c'est dans le règlement intérieur. Une occupation passionnante mais parfois fastidieuse. "Approche dans un pierrier raide" "L5, 35m en joli rocher" "Du sommet tirer un rappel". Redondance des paragraphes, somnolence du topographe. Mais parfois, un truc vient titiller l'esprit. Le genre à déclencher un crush direct, y'a pas à tortiller faut y aller, tu fais quoi le weekend prochain ? 

C'est à peu près l’excitation que nous avions en consultant le topo de cette voie méconnue, de fil en aiguilles, dans le Vercors, pour occuper un weekend qui s’annonçait humide. Rémi aurait dû être des nôtres mais les obligations parentales le retiennent à Lyon. Alors c’est à deux que l’on s’élance sur la route ce samedi-là. Pas de pluie annoncée avant la fin de journée mais un temps au mieux maussade. Le réveil, pourtant pas si matinal, pique un peu, on resterait bien au lit pour profiter d'une journée pépère, il y a de bons films au ciné en ce moment.

Au parking de Prélenfrey, il n'y a pas encore la foule des grands jours. On se réparti le matériel et on file à travers la forêt vers notre objectif : les Sultanettes, une série d'aiguilles de calcaire bien découpées entre vires et couloirs, qui viennent marquer la séparation entre le Gerbier et les deux sœurs. À la lisière du bois, on découvre notre terrain jeu, se détachant entre les nuages. On devine les différentes cimes, et entre les deux plus hautes, un mince câble qui tranche le ciel. Échange de clins d’œil.

Dans la face, une cordée est déjà à la tâche. Et au pied de la première longueur, nous sommes rattrapés par deux sympathiques Grenoblois, qui nous font l'honneur de tolérer notre présence sur leurs terres. Ambiance chaleureuse malgré la fraicheur et le gris du ciel. Un shifumi gagnant m'offre la joie d'ouvrir le bal. La première longueur est sympathique et sans grande difficulté, parfait pour se mettre en jambe. Le rocher n'est pas toujours très compact, mais l'ouvreur a fait un gros travail de nettoyage. L'éléphant peut danser là-dedans sans briser de porcelaine.

D’en haut, une petite transition sur une sente permet de rejoindre le second ressaut. Ici, et comme dans à peu près chaque longueur de la voie, deux lignes de spits louvoient parallèlement. L'ouvreur a ouvert deux voies jumelles, qui permettent à chaque fois longueur de choisir sa difficulté. De fil en anguille évolue dans le 5c/6a, sa voisine un poil plus dure Un poil de plus dans le 6b. Les relais sont côtes à côtes, et certaines longueurs sont même communes. On reste sur la version facile, qui propose tout de même de jolis pas et un zeste de challenge. L2 c'est une première partie un peu daleuse puis un ressaut plus fracturé, et de nouveau une vire. Puis j'enchaine sur L3, une fissure/dièdre raide qui mets les bras à contribution, avant d'enchainer sur une longueur plus compacte. J'opte pour la variante en 6a+ qui s'écarte sur 3 ou 4 points, le temps de jouer sur une écaille peu crochetante.

Le ciel nous gratifie de quelques rares éclaircie, mais globalement on nage dans une purée de pois. Loin d'être décevante, cette météo ajoute une atmosphère surréelle à notre échappée. Les tours des Sultanettes forment des fantômes qui parfois apparaissent dans les nuages, et la brume cache les nombreux ressauts, nous renvoyant au contraire une sensation d’immensité et d'altitude bienvenue. On à l'impression d'évoluer entre les cimes des arbres d'une gigantesque forêt, nous, pauvres petits écureuils chétifs. 

L4 forme une rampe qui nous ramène jusqu'au sommet de notre premier ressaut. Seuls dans notre nuage, on cherche la suite. Là-bas dans la brume, un sommet jumeau du notre. Et qui nous relie à lui, une vieille cordelette délitée. On se regarde avec Xavier, excités comme des puces par l'aventure qui s'annonce. C’est là que se cache le clou du voyage, la petite pépite qui nous a motivé le voyage : une tyrolienne au-dessus du vide, traversant le ciel. Il est là le frisson qu'on est venu chercher, le petit plus qui nous a fait piaffer d'impatience à la lecture du topo !

Il va nous falloir traverser une quinzaine de mètres au milieu du nuage, et c'est une manip que ni moi, ni Xavier n'avons déjà pratiqué. Heureusement pour nos nerfs, on a pu discuter de la manip avant et l'ouvreur a équipé la voie pour simplifier la manip. On réfléchit à voix haute et on revérifie 15 fois chaque étape. La dure loi du shifumi ayant désigné Xavier volontaire, il s'élance au-dessus du vide pour vérifier que tout est ok. La première moitié se passe bien, mais la fin est plus physique : la traversée n'est pas horizontale mais ascendante et cumulé à l'élasticité de la corde, c'est quelques mètres qu'il faut remonter à la force des bras pour se rétablir sur l'autre rive. Ce final s’avère physique, mais après un peu de délayage et beaucoup de rires, Xavier se rétabli sur l’autre rive. Une grande inspiration, et c'est parti, j’essaye de l’imiter. ça tire dans les biceps, ça brûle les mollets et ça fait se relâcher les sphincters. Une fois rétabli de l'autre côté, on rigole un coup, trop heureux d'avoir fait cette connerie ! Une belle première, sachez que Xavier est volontaire pour jouer les Pères Noël cet hiver.

Un rappel et une rapide remonté de couloir, et nous voici arrivé au pied d’un nouveau ressaut. Nous y rattrapons la cordée précédente et nos poursuivant sont toujours derrière nous. Il est possible d’esquiver la tyrolienne par un rappel et de la marche, on pensait qu’ils nous doubleraient dans la manœuvre mais au final la tyrolienne ne nous a pas pris trop de temps.

2 jolies longueurs dans la brume, et nous atteignons un terrain à chamois. On navigue sans y voir grand-chose, il faut marcher quelques minutes pour rejoindre le dernier ressaut. Heureusement à cet endroit, zéro exposition. À l’oreille, on entend les « glings glings » de la quincaillerie de la cordée précédente, ce qui nous est de grande utilité pour trouver le pied de ces deux dernières longueurs. Ce dernier ressaut est plus couché et s’avère une jolie conclusion, qui nous permet de basculer pile poil hors du nuage, sous le regard de nombreux randonneurs et des bouquetins du Gerbier, en pleine sieste.

Retour par le pas de l’œil, un peu casse chevilles, et nous arrivons à la voiture très heureux de cette journée, sur une voie qui s’avère fort jolie. Notons que les réchappes sont très nombreuses et l’équipement tout à fait correct, et rappelons que la tyrolienne peut s’esquiver par un rappel (même si ce serait dommage de louper ça). Avec tout ça, ce serait dommage de ne pas y trainer ses basques !