01-05-2019
Mont Blanc
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Mercredi 1er mai, bassin de Talèfre :

"Gling... gling... gling... !" Un juron retentit dans la nuit quelque part sur le versant sud de l'Aiguille Verte. Je viens de laisser échapper mon descendeur, qui disparaît dans la pénombre... David, quelques dizaines de mètres plus bas, relève la tête, inquiet : "Manquait plus que ça...". La descente en rappels s'annonce longue...

Mais revenons au début de la semaine...

 

Lundi 29 avril, Lyon :

David et moi avons prévu d'aller passer quelques jours au Refuge du Couvercle dans l'idée de s'attaquer à quelques courses du secteur : Droites, Col Armand Charlet, Verte, Courtes, Pointe Isabella... en s'adaptant au mieux aux conditions, qui s'annoncent plutôt hivernales après les dernières chutes de neige...

J'appelle donc le gardien du refuge :

- "Bonjour, ce serait pour réserver pour 2 ce soir et jusqu'à jeudi.

- [Rire au bout du fil] Ah ben, ça va pas être possible, je suis dans la vallée... Il a beaucoup neigé la-haut, je ne remonte que ce soir tard ou demain matin... Vous êtes en route ?

- Euh, non... On est à Lyon...

- Tout va bien alors, vous pouvez peut-être décaler d'une journée ?

- OK, on réfléchit et on vous rappelle !"

Rapide conciliabule avec David, décision est prise de partir le lendemain à l'aube...

 

Mardi 30 avril, Lyon :

Nous décollons à 6h30 de Lyon dans la voiture de David, qui se met à dégager une horrible odeur (la voiture, pas David :-) ).Demi-tour, on transfère toutes les affaires dans ma voiture et c'est reparti. "Toutes les affaires"? C'était sans compter sur ma veste, restée dans la voiture de David... Re demi-tour au bout d'une quinzaine de kilomètre, dans les bouchons :-(. On espère que ces faux départs ne sont pas des mauvais présages...

Nous choisissons d'emprunter la Vallée Blanche pour rejoindre le Couvercle. Les conditions sont bonnes mais David a bien du mal à apprivoiser les skis que JC lui a prêté (les siens sont en SAV...). A l'intersection du Glacier de Leschaux, nous mettons les peaux pour rejoindre le pied du Couloir Central qui permet d'accéder au bassin de Talèfre... Et c'est là qu'on retrouve les 3 compères américains que nous avions déjà croisé au Refuge de Leschaux 10 jours plus tôt ! A croire qu'ils habitent sur la Mer de Glace !

Peu avant 16h, nous rejoignons finalement le Refuge du Couvercle. Sieste, discussion sur l'objectif du lendemain, allègement des sacs, dîner 5*... Tous les passagers d'un soir du Refuge me souhaite en chanson un bon anniversaire, David m'offre deux jolis cadeaux. Anniversaire tout particulier puisqu'un an auparavant, une journée aux Rouies se terminait dans la douleur...

C'est sur un vague sentiment d'inquiétude que je rejoins le dortoir glacial. Le sommet du lendemain, je ne l'ai jamais atteint malgré 2 tentatives... Objectif : AIGUILLE VERTE !

 

Jour de la Verte :

Peu avant 1h30, nous quittons le refuge sous une myriade d'étoiles. Pas de vent, un bon regel, les conditions sont plutôt bonnes mais le manteau neigeux n'a pas assez réchauffé les jours précédents : on s'enfonce par endroit. L'objectif initial de passer par le Col Armand Charlet pour rejoindre le sommet de la Verte via la Grande Rocheuse est abandonné. Plan B : couloir Whymper ! Nous aurons bien besoin de l'aide des deux cordées qui nous accompagnent pour faire la trace !

Vers 4h, nous laissons les skis sous la rimaye et enfilons les chaussures d'alpinisme. C'est à ce moment que je m'aperçois que les débords avant de mes chaussures sont bien abîmés : pas idéal avec des crampons automatiques...

Nous contournons la rimaye par la gauche puis nous retraversons à droite pour prendre pied dans le couloir/goulotte qui constitue la partie la plus difficile de l'itinéraire. Nous profitons de la trace faîte par les deux cordées qui nous précèdent, mais certains passages sont en neige dure voire en glace... Après quelques dizaines de mètres, nous relayons pour faire le point : David semble dans le dur, les conditions ne sont pas idéales, nous recevons régulièrement sur la tête des morceaux de neige ou de glace... Je ne donne pas cher de nos chances d'atteindre le sommet...

Nous décidons de nous encorder à 30 m et profitons des relais rive gauche pour progresser à corde tendue. Une centaine de mètres plus haut, mon descendeur décide de rejoindre le pied de la face... Si nous atteignons le sommet, je devrai donc négocier la petite vingtaine de rappels sans descendeur :-(

Nous prenons finalement pied dans le couloir principal, plus facile. Nous rangeons la corde, le guide qui traçait depuis le début fait une pause. Je me sens en forme, j'accélère et je prend la tête, David me suit de prêt, le Col de la Grande Rocheuse semble nous tendre les bras. Mais c'est épuisant ! La neige croûtée cède dès que je fais un pas ! Après une grosse centaine de mètres de dénivelés devant, je laisse la place à la cordée qui n'a pas encore tracé, bien entamé.

Nous rejoignons finalement le Col de la Grande Rocheuse vers 8h30. Nous profitons des rayons du soleil et de la vue sur la débonnaire Arête Est de l'Aiguille Verte, d'où nous voyons bientôt descendre un alpiniste solo monté par le Couloir en Y depuis la Charpoua (!).

Grosse émotion sur les derniers mètres avant le sommet. Des images fugitives défilent devant mes yeux : la famille et les amis, toujours présents, les médecins et kiné, qui m'ont accompagné, les moments difficiles, douloureux... Je mesure le chemin parcouru depuis un an...

C'est donc vers 9 heures que nous partageons le bonheur de nous tenir sur ce sommet mythique, sous une tempête de ciel bleu ! Quel panorama fabuleux ! Enfin, me voilà montagnard !

La descente, elle, sera beaucoup moins agréable. Une petite vingtaine de rappels au demi-cabestan, avec deux brins de 50 m, c'est long !

Nous ne rejoindrons le Refuge que vers 14h30, bien fatigué. A peine le temps de croiser Sébastien Escande et Gaspard Proust (le Couvercle, c'est The Place to Be !), nous partons nous reposer dans notre dortoir.

Météo pourrie annoncée pour la fin de la semaine : nous décidons de nous accorder une bonne grasse matinée le lendemain, avant de profiter d'un bon resto dans la vallée...

Merci David pour cette fabuleuse ascension !

 

Quelques conseils pour "aller au Whymper" :

  • mieux vaut privilégier le printemps, la course est rarement en condition au-delà de fin juin.

  • une bonne tactique est de laisser les skis juste au-dessus de la rimaye (si elle n'est pas trop ouverte) : on gagne du temps à la descente en sautant la rimaye skis au pied.

  • prendre 2 brins de 60 m fait gagner beaucoup de temps à la descente.

  • emmener un descendeur supplémentaire peut être une bonne idée...