01-07-2022
Ecrins
AD
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  Ayant eu vent de conditions favorables dans cette course, je la propose sans tarder à Xavier, qui accepte. Départ vendredi acté.

  Retour à La Bérarde, que nous avions laissée deux semaines plus tôt sous une pluie battante, contrastant avec la tempête de ciel bleu qui nous y attend aujourd’hui. Nous souhaitons bon vent, mais pas trop, aux deux auto-stoppeurs partis traverser la Meije, et chaussons nos grosses. Xavier réalise avec plaisir qu’il a oublié ses semelles, laissant à ses pieds toute latitude pour eux aussi se promener librement ce week-end, à l’intérieur de ses chaussures. Nous prenons le chemin du vallon de la Pilatte, et laissons derrière nous les soucis de la semaine, enchantés de la météo radieuse que nous réservent ces prochains jours. La montée à Temple Ecrins se fait sous le regard de l’imposant bastion des Ailefroides. Un jour, plus tard, bientôt qui sait…

  La gardienne du refuge, Marie, nous accueille et nous place, non loin d’un groupe venu fêter un anniversaire. Une cordée en couple, Maxime et Johanna, échange avec nous sur les conditions du moment et les stratégies à adopter pour la course. Nous apprenons de Marie qu’un troisième binôme envisage également de réaliser l’ascension, en bivouaquant plus haut. Bigre, cela commence à faire du monde dans une course jonchée de couloirs, en roche comme en neige… Aussi, lorsqu’un gars s’approche de nous et nous demande si nous avons le topo de la barre, il lui est proposé d’aller crever dans une noix de coco. Il s’avère que ses camarades et lui n’envisageaient que de passer le col des Avalanches… Pour le pilier sud de Barre Noire. Une optimisation des trajets paraît-il.

  Le soleil réchauffant la terrasse de ses tièdes rayons de fin d’après-midi, le repas nous est servi dehors, et nous partageons la table avec nos deux collègue et Stupp, un gaillard solide dans la cinquantaine bien tapée, dont les anecdotes laissent présager un vécu en montagne exaltant. Nous partons nous coucher vers 20h, mais le sommeil ne me gagne pas de suite. Je tourne et me retourne dans mon sac à viande. Demain, c’est l’aventure, et je me récite cette course, plus engagée qu’à l’habitude, comme on révise une leçon la veille d’un examen : l’attaque, les longueurs, le mini-couloir, le câble, le Champeaux, les pentes de neige...

  Il est 1h30, le réveil sonne, et nous croisons les couche-tard venus festoyer en altitude. A l’inverse de notre dernière course, c’est une lune noire qui veillera sur notre approche, 3h durant, dans une obscurité que seuls les faisceaux de nos frontales viennent briser, laissant apparaître d’abord une sente, puis un chaos rocheux, et enfin le glacier du Vallon de la Pilatte. Il nous contraindra à un encordement sur sa croupe terminale, tailladée de crevasses.

  Le jour se lève sur l’attaque, au pied du socle rocheux. Nous laissons poliment Maxime et Johanna prendre les devants, sentant qu’ils sont plus véloces, et leur emboîtons le pas sur les trois longueurs qui conduisent au sommet de la Tour Rouge. Dès lors, plus de demi-tour possible : il faut sortir par le haut. En corde tendue, nous rejoignons le pied du petit couloir, verglacé, pour arriver au pied des dalles que traverse le câble. Celui-ci est énorme, et ses scellements encore plus. Nous l’empoignons pour franchir un pas délicat, et le suivons jusqu’à le quitter, pour basculer en direction du couloir Champeaux. Bien que restant dans sa branche gauche, à l’inclinaison modérée, plus bas c’est d’une verticalité absolue. Un toboggan glacé vers le vide. Quelques tergiversations sur la manière de protéger dans cette section, et à quel endroit en sortir pour rejoindre les pentes de neige, nous feront perdre un temps précieux : une fois dans ces dernières, la neige est revenue et, si elle n’empêche pas une progression fastidieuse, rend toute chute inarrêtable. Nous choisissons alors de progresser de dorsale rocheuse en dorsale rocheuse, conscients du temps que nous y perdons. Maxime et Johanna sont sortis depuis longtemps. Dans le couloir final, nous protégeons en rive gauche, et finissons par gagner l’arête faîtière peu après 14h. De l’autre côté, le glacier blanc, vertigineux, tout de séracs entremêlés, déroule sur son long tapis blanc notre chemin de retour.

  Heureux malgré l’horaire malmené, nous parcourons le court morceau nous séparant du sommet, et contemplons le panorama grandiose qui s’offre alors à nous. Les Bans ont l’air tout petits, nous surplombons les Ailefroides et le Pelvoux.

  Vient alors le temps de redescendre. La traversée de l’arête jusqu’à la brèche Lory se fait sans encombre, sous le ballet de trois planeurs, dont seuls les virages les plus appuyés troublent le silence dans un léger feulement. Passé la rimaye, s’ensuite la longue descente par la normale, qui raye la face de deux diagonales serpentant entre de profondes crevasses. Nous en enjambons quelques-unes, et leurs ponts de neige déjà minces pour la période et l’altitude, laissent deviner des profondeurs dans lesquelles il ne ferait pas bon chuter. Près du passage du col, vu l’heure tardive et la fatigue cumulée, nous jugeons plus prudent de nous rendre au refuge des Ecrins, où les aide-gardiens nous accueillent chaleureusement. Jamais bol de soupe et gigot aux crozets n’auront été tant appréciés.

  Le refuge étant complet, nos matelas sont posés dans la salle commune. Le petit déjeuner à 7h nous autorise une nuit presque réparatrice, avant de repartir pour redescendre le col des Ecrins. Son câble, entièrement dégagé, permet une descente rapide, tout comme le névé qui nous mènera en ramasse jusqu’à la moraine. Nous regagnerons La Bérarde pour 15h et une toilette salvatrice dans le Vénéon.

  Et déjà, il nous faut reprendre la route sinueuse pour retourner à nos responsabilités, et refermer cette parenthèse. Venus vivre une aventure en altitude, nous rentrons épuisés mais comblés.