13-07-2022
Mont Blanc
3224
TD
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« De tous les monolithes du Massif du Mont-Blanc, le Père Eternel est le plus fou. » 

 

C'est ainsi que commence l'un des articles du magazine Vertical de Novembre 1998, écrit par un certain Patrick BERHAULT. C'est aussi, avec Claire, notre objectif du jour : nous prévoyons d'abord d'emprunter une grande voie moderne (« Papa Giovanni Paolo II ») qui mène à la brèche du Père Eternel puis la voie historique ouverte en 1927 par quatre jeunes porteurs de Courmayeur : Arthur et Oswald Ottoz, Albin Pennard et Laurent Grivel. « Il est impossible de parvenir à son sommet » : tel était alors le verdict des grands guides de la vallée sur ce monolithe de granit qui se dressait fièrement à 3224 m d'altitude à proximité de l'Aiguille de la Brenva.

 

Évidement, à l'époque, c'est à pied qu'ils étaient partis de Dolonne, nous préférons emprunter la première benne du téléphérique qui nous mène rapidement au Pavillon du Mont Fréty. Nous profitons ensuite d'un bon sentier pendant quelques dizaines de minutes avant de nous élever en diagonale dans du terrain à chamois puis dans un pierrier en direction du pied de l'Aiguille de la Brenva. Nous terminons par les névés peu raides qui ont remplacé le bas du Glacier d'Entrèves.

 

Nous voici au pied de la face, tout là-haut, le monolithe semble encore plus inaccessible !

Pour atteindre le pied de la voie, qui semble très redressée et peu prisue, une raide pente de neige nous oblige à chausser les crampons et nous allons nous vacher sur le premier point.

« C'est trop dur pour moi ! », lâche une Claire impressionnée par la raideur de la face. Habitué à ces baisses de moral, je réponds immédiatement : « C'est pourtant toi qui va partir en tête ! »

En enlevant son sac, l'un d'entre nous (que je ne citerai pas pour ne pas nuire à sa qualité d'encadrant expérimenté) laisse tomber la corde entre la neige et la paroi : quand même, « les gens, c'est des boulets ! ».

La corde récupérée, Claire s'élance finalement dans cette première longueur en 6a, je l'encourage, je sens un niveau de confiance proche de zéro... Elle progresse lentement sur cette dalle (très) redressée mais bien équipée et rejoint le relais après 45 bons mètres.

A mon tour de passer en tête dans L2, un autre 6a globalement un peu plus commode mais avec un pas bien retord. On se retrouve à R2 après presque 2 heures d'effort, autant dire qu'il va falloir accélérer si on veut attraper la dernière benne ! Nous enchaînons donc plus rapidement, en négociant notamment L4 et L5 en corde tendue avant d'arriver au pied de L6. Derrière nous, le vide se creuse, des chutes de pierre balayent régulièrement notre trace de montée.

J'annonce à Claire que L6 est 5c au lieu du 6a annoncé par le topo, et comme d'habitude, cela lui permet d'avoir beaucoup plus confiance dans ses talents de grimpeuse ! Elle avoue manquer de jus, ce sera donc sa dernière longueur en tête. Le terrain est beaucoup plus raide, on progresse sur des fissures crochetantes et de solides feuillets, c'est superbe ! Dans L7, je dois lutter pendant une bonne trentaine de minutes dans une magnifique fissure annoncée en 6a mais qui me paraît un cran au-dessus. Je finis par poser une pédale et un friend pour pouvoir franchir ce passage athlétique qui m'aura pomper une bonne partie de mon énergie !

L8 nous conduit à la brèche du Père Eternel, au pied du monolithe. Et nous découvrons l'autre versant de la montagne... la Brenva !

 

Je reste un instant subjugué par tant de beauté et de puissance. Loin au-dessus du majestueux glacier de la Brenva, l'intégrale de Peuterey trace dans le ciel une ligne parfaite qui mène au sommet du Mont-Blanc. Nous nous trouvons en fait entre deux monolithes car l'Arête Nord de l'Aiguille de la Brenva prend ici l'aspect d'un raide pilier.

 

Mais il nous reste encore un gros morceau, le fameux Père Eternel qui se dresse fièrement au-dessus de nous. La voie contourne habilement le monolithe par le versant ouest, je me retrouve devant une perche antique en bois de 7 mètres de haut ! Munis de clous, elle permet de franchir un long passage déversant. A ce stade, je dois le dire, je n'en mène pas large. Dans mon dos se creuse le vide du versant Brenva, mes pieds se posent sur de vieux clous plantés dans le bois depuis près de 90 ans et qui ont une tendance inquiétante à fléchir sous mon poids. Je m'imagine que l'un d'entre eux va s'arracher et que je vais venir m'empaler lamentablement sur ce vieux bout de bois. Très loin, j'entends Claire qui me demande si tout va bien. Je saisis le haut de la perche, un instant elle se détache du rocher et je me vois basculer dans le vide... mais heureusement elle est bien vite arrêtée par un anneau de corde.

Mais ce n'est pas terminé, il faut maintenant progresser sur une dalle en 6a. Je commence à avoir du tirage, je fatigue, je lutte, je souffle... Je m'aide des tiges métalliques qui ont été scellées dans le rocher... Et enfin, l'escalade devient plus facile, j'arrive à un relais. Mais le topo précisait bien de ne pas l'utiliser ! Il faut continuer à traverser en ascendance sur un rasoir, les mains sur l'arête sommitale, les pieds sur de petites prises licheneuses. Le vent conjugué au tirage a tendance à me déstabiliser mais dans un ultime effort je parviens enfin au relais sommital.

 

SOMMET ! Rarement j'ai éprouvé un tel soulagement, une joie aussi pure en arrivant sur un sommet. L'ambiance est fantasmagorique, partout autour de moi le vide est abyssal ! Claire me rejoint au sommet et nous savourons ensemble ce moment d'émerveillement, hors tu temps, Eternel...

 

L'espoir d'attraper la dernière benne s'est envolé depuis longtemps, mais rarement l'expression « le jeu en vaut la chandelle » aura été aussi appropriée ! Pour descendre, un rappel impressionnant en fil d'araignée nous dépose au pied du monolithe.

 

Nous devons ensuite nous encorder pour rejoindre la ligne de rappels. Nous annonçons que nous devrions être au camping vers 20h30 « si pas de problème de rappel ». Mais je perds la ligne de spits dans la longueur la plus facile de la voie et nous errons longuement dans la face avant de retrouver le relais. Nous perdrons également beaucoup de temps en allant chercher trop bas le sentier du belvédère de la Brenva, ce qui nous obligera à remonter près de 200 mètres de dénivelé... avant d'emprunter le raide sentier qui nous ramènera vers La Palud. C'est seulement vers 23h30 que nous retrouverons le camping des Grandes Jorasses et le chaleureux accueil des GAULois, qui font même pêter le champagne à notre arrivée !!!

 

Quelle course F.A.B.U.L.E.U.S.E !!!

 

Bilan :

Pour cette voie, il est important de ne pas se retouver sous le glacier d'Entrèves aux heures les plus chaudes de la journée pour éviter les nombreuses chutes de pierre.

Si l'on a un niveau 6a comme c'est notre cas, les 8 longueurs (de 45 à 50 mètres) de la voie « Papa Giovanni Paolo II » entament bien avant d'attaquer le Père Eternel. Les 6a sont soutenus voire un peu sous-côtés pour certains.

La longueur finale sur le Père Eternel restera gravée dans votre esprit pour les siècles des siècles...