31-05-2024
Beaufortain
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Vendredi 31 mai 2024 ; je prépare le matériel pour une semaine de raid de seulement 2 jours… jusque tard vendredi soir.
L’objectif est d’apprendre sinon réviser les savoir-faire de coureur de glacier.
L'angoisse de ne pas être réveillé par la mélodie du matin me réveille chaque heure.
Elle chante enfin ! L’eau de ville est coupée pour tout les habitants de l’immeuble depuis jeudi. Je lave des yeux vitreux et la peau hypotonique à l’eau Cristalline.

Le clic de la ceinture de sécurité sonne le non retour pour les oublis telle la crème solaire.
Je récupère Jules à la Commune du 7e arrondissement ; nous arrivons à 5h55 au parking de Bron pour un départ à 6h.
Nous répartissons les matériels dans deux charrettes puis destination le parking des Lanchettes au nord de Bourg Saint-Maurice.

Les 3h de route sont longues ; je ronfle en silence pour ne pas réveiller Auberi qui ne dialogue plus et regarde fixement la poignée de la porte passager avant.
Les péages sont des occasions de respirer de l’air revigorant et d’actionner le bras gauche.
Un petit rond point final et nous quittons Bourg Saint-Maurice pour 35 minutes encore.
L’ambiance devient plus sinueuse, verticale et les épingles massent alternativement les cotes.
Le chemin caillouteux, étroit et vibrant ressemble à un aller sans retour.  
Un panneau rond, rouge et blanc stoppe définitivement la fuite en avant de Serge.
Il reste de la place pour garer deux voitures ; elles vont se tenir chaud.
Jérôme et Nicolas sont montés sur deux roues : admiration et respect.
Nous sortons les sacs à dos ; les pneus et suspensions des voitures se reposent légèrement, contrairement à mes épaules et lombaires.
La neige dessine des cumulus sur les collines verdoyantes qui bordent le chemin d’une noirceur anxiogène.
Une marmotte sur deux pattes siffle courageusement à distance non téméraire notre proximité non souhaitée de son territoire.
Le soleil nous regarde de haut.

Plus nous marchons et plus le chemin se laisse envahir d’une blancheur glissante et humide.
Le chemin joue à cache cache sous la neige. Serge gratte sa barbe récemment blanchie pour que le chemin se montre ; le voici aperçu à la sortie d’une langue de neige.
Nous élargissons la surface de nos pas avec des raquettes et des skis pour rester en surface d’une neige mouvante.
J’ai renoncé aux bâtons pour 2h de montée ; 3h avec un sac anormalement lourd qui me déséquilibre et m’oblige à forcer sur les appuis.

Nous arrivons au mini refuge Robert Blanc après 800m de dénivelé relativement positif.
La tenancière nous accueille à coups de pelles ; je réalise la chance de ne pas être une marche enneigée.
Une table extérieure ensoleillée est annoncée en extérieur ; les bancs attirent mes jambes fatiguées.

Nous montons au dessus du refuge dans une pente en direction de l'aiguille des Lanchettes. La table s'éloigne ainsi que Simona.
Les pieds enfoncent profondément dans la neige ; l’échauffement aux exercices d'alpinisme est abdominal.

Après la marche en montée, nous nous exerçons à la marche en descente sur talons sans crampon.
Nous remontons la pente en marche avant avec crampons. J’arrive en haut en crampon et non en crampons, alors je redescends à la recherche du crampon perdu.
Je perds une seconde fois un crampon à proximité du groupe ; je les règlerai après les festivités collectives.
Nos passages successifs dament la neige humide et non cohésive.
Nous jouons à nous jeter corps et âme dans la pente pour mieux freiner sur piolet : sur le dos, sur le ventre, pieds en avant, tête en avant ; rien d’autre que le piolet ne nous arrête.

Une dernière descente et il est l’heure de découvrir le refuge, le dortoir et le diner.
La nuitée s’annonce verticale ; j’installe un couchage au 2e des 3 niveaux de lits superposés.
Une capsule en plastique attire l’attention de ma main ; c’est un piège à punaises. Je retourne laver mes mains.

Le jus de pomme chaud à la cannelle est une découverte surprenante et chaleureuse.
L’attente du diner se fait en lecture, jeu de carte et séchage de chaussures détrempées. Je ne constate pas de mauvais réglage de mes crampons ; mystère…
Je sors le téléphone intelligent de mode avion ; le réseau oscille entre 3G et quelques mètres carré de 5G. Ma grande fille m’a laissé un message avec des larmes ; je partage sa déception à distance et lui conseille des solutions éprouvées.
Le chat de Robert Blanc se cache ; pas de caresses, ni risque de puces ou tiques.

Des effluves odorantes trahissent la préparation du diner.
Nous disposons treize assiettes et couverts. Nous nous serrons et la soupe de légumes se pose fumante sur la table. Les plats se succèdent. Le bruit des cuillères couvre celui des silences affamés.
Un curry de légume est servi en saladier avec une délicate et appétissante odeur d’épices.
Des plats de riz blanc apportent de la consistance et de la douceur à la force colorée du curry.
Un calorique fondant au chocolat achève de colmater les rares espaces de mon estomac encore inoccupés.
La nuit précédente fut une sieste ; les bras de Morphée me prennent par la main et me mènent vers le dortoir à 21h.

Le lever à 6h est plus facile que je l’appréhendais ; le thé me réchauffe, le café me réveil et la confiture de fraise s’étend élastiquement sur le pain germanique.
La petite aiguille se rapproche du chiffre 7 et de l’heure de départ.
Je me bats avec la fermeture usée des guêtres ; je finis par les laisser se reposer au refuge.

Les cordées se forment crampons aux pieds et piolet en main. Me voici relié à Auberi et Antoine par un noeud de pêcheur double.
Le piolet plonge sous la surface de la neige en direction de la pointe des Lanchettes.
Le rythme de la montée maintient thé et café au chaud dans l’estomac ; une partie s’évapore pour atteindre le pied de la barre rocheuse.
Les cordées progressent en corde tendue.
La lourde neige de printemps hésite entre accrocher à la pente et glisser sous l’attraction de leur poids propre.
Le dilemme des lois de la physique crée de petites rimées. Nous jouons à en franchir une.
Certaines et certains y laissent entre un tibias et deux jambes avant de s’en extraire avec intégrité.
Je redescends en leader et en oblique pour laisser à ma droite d’autres pièges béants sans trop gêner les 2 autres cordées à ma gauche.

Nous simulons une progression sur glacier réputé crevassé ; les anneaux de buste nous espacent de 15m et la corde devient une guirlande de deux espacés de 2m entre chaque et 3m aux l’extrémités. Les noeuds doubles deviennent d’astucieux freins en cas de chute en crevasse.
L’horizon fait apparaitre un refuge ; je le reconnais : c’est le Premier et le seul à portée de vue.
C’est l’heure de tester la résistance de la neige humide et roulée.
Auberi descend encordée en plein pente; elle dévisse soudainement en face nord du Siula Grande et se retrouve en mort suspendue comme l’a témoigné Joe Simpson.
La tension de la corde m’endolorit la cuisse gauche dont le muscle est écrasé sous une tension écrasante.
Je creuse profondément la neige avec la panne du piolet.
Je pose la poulie micro-traction dans le sens de soulager l’effort tranchant.
Je descends voir l’état de suspension d’Auberi et prévenir le cisaillement de la lèvre de crevasse.
Il est temps de fouiller dans les répertoires de ma mémoire : Yoann / vie / perso / montagne / secours / mariner double…
Des lacunes d’entrainement apparaissent ; la démultiplication d’effort par 7 est facile à réaliser a posteriori : cordasson accroché au brin mou de la corde, passé dans le mousqueton du Ropeman de brin tendu et brin mort de corde passé dans la poulie en seconde extrémité de cordasson ; il ne reste qu’à souquer le brin mort dans le perdre.
Je voir un piolet que je connais bien descendre la pente de neige : le corps mort a ressuscité.
Second corps mort pour rendre l’exercice concluant: Antoine prend la place du mort suspendu.
Auberi vient s’exercer au marinage ; le second corps mort reprend vie aussi et cède à l’attraction d’Antoine.
L’exercice a fait 3 morts d’esprit ; personne n’a coupé la corde contrairement au récit de Joe Simpson.

Il est l’heure de quitter cette neige de plus en plus glissante en direction du parking des marmottent siffleuses.
Jérôme et Nicolas se hâtent pour le train de 16h et quelques minutes ; notre train de descente est plus lent.
Dernière tentative d’apercevoir le sac à puces et tiques avant de chausser les raquettes ; pas de photo à envoyer à mes filles.
Dernière exercice d’oubli en refuge ; Jules prend la tête.

Nous plongeons en pleine pente. Les bâtons sont encore plus utiles à le descente qu’à la montée.
La neige verdit et nous incite à déchausser ; mes chaussures sont devenues des aquariums.
Deux chaussettes rouges lézardent sur une barrière en rondin de bois ; les voitures n’ont pas changé de place.
Nous retrouvons les clés, des chaussettes et chaussures sèches ainsi que le réconfort de nous assoir.
Nous chargeons les 2 coffres et fermons les portes.
ls marmottes sifflent silencieusement notre départ.

Nous ravitaillons en fromage et autres spécialités à la coopérative du Bourg de Saint-Maurice.
Le coffre de la voiture est maintenant parfaitement plein.
Le retour est aussi long que l’aller. Nous discutons d’Amérique latine avec surprise et nostalgie.
La voiture de Serge a pris de l’avance à la sortie de la coopérative ; nous la rattrapons sur le parking de Bron.
Les au revoir sont ponctués de remerciements.
Frédérique et Auberi quittent le navire ; je raccompagne Jules sur la route des retours à domicile.

Le compte-rendu est l’occasion de renouveler les remerciements à Antoine, Jérôme et Serge pour l’organisation et les enseignements les plus récents, de remercier la neige qui a rendu les corps morts susceptibles à la traction, la météo printanière à enneigement abondant, la complicité des 7 mousquetaires de cordées et l’hospitalité intimiste de Robert Blanc au sourire noir et blanc du même nom.
A bientôt avant les vacances.