30-03-2021
Mont Blanc
2600
PD
1

En ce printemps 2021, les perspectives sont moroses. La situation sanitaire ne s'améliore pas, et les informations quotidiennes sont chaque jour plus angoissantes. Alors nous avons dévoré cette saison par les deux bouts, ne laissant passer aucun weekend pour sucer jusqu'à la moelle tout ce que cet hiver pouvait nous offrir. L'annonce d'un confinement Lyonnais qui vient selon toute vraisemblance clôturer la saison de ski, nous oblige à jouer dans l'urgence nos dernières cartes. C'est en fin de partie qu'on compte les points, et on s'était gardé une belle main !

Départ prématuré ce vendredi pour esquiver la fermeture du département, et halte improvisée dans ma maison familiale du Jura. Arrivée vers 19h, on est dans les clous ! Nous nous offrons là une belle nuit de sommeil, rythmée par le bruit des goutes qui tombent fort sur la toiture. On se prend à rêver à cette pluie qui pourrait bien donner une belle neige fraiche, plus haut. Et déjà, le marchand de sable agrémente ses petits colis de superbes images volées à Samivel, de glaciers immaculés et d'arêtes en neige venant sabrer le ciel azur. Notre objectif du weekend s'inscrit parfaitement dans cet imaginaire : les Dômes de Miage, une course prévue de longue date pour lancer la saison du ski en haute montagne et faire quelques globules en préparation de projets futurs. Le sort aura voulu que ce sera aussi la mise en bière de notre saison, mais qu'est-ce que ça va être bien !

Ce samedi lendemain, nous arrivons à une heure pas vraiment matinale aux Contamines, sur le parking du Cugnon. On joue la carte du départ tardif : la montée au refuge est longue, mais aucune descente à gérer derrière. Et puis, ça pourra laisser le temps à la neige fraiche de purger et se tasser un peu. On chausse dès le parking, l'air goguenard. Mais on se fait rappeler à l'ordre par une large plaque de terre et de cailloux quelques dizaines de mètres plus loin. Allez, on est quand même fin mars, on peu accepter de porter un peu non ? Échaudés par cette expérience, nous attendrons d'avoir marché longuement dans la neige pour oser repasser les skis sous les pieds. Nous aurons porté quelque chose comme 300m.

Nous sommes accompagnés par le speaker d'une compétition de ski (il s'agit des championnats du monde de Biathlon), quelque part derrière le brouillard. C'est que le mauvais temps ne s'est pas encore totalement dissipé, la visibilité est mauvaise et par moment il bruine même une neige microscopique. Au moins, l'effort se fait à des températures agréables. Nous sortons de la forêt, et entamons une traversée en direction du refuge de Tré la tête. Ha, le voilà ce fameux hôtel ! Cette étape dans notre ascension est l'endroit parfait pour notre première pause. On s'installe sur la terrasse, non déneigée, pour boire une gorgée et anticiper des ampoules en formations. Qu'on est bien en montagne, loin de la violence du monde et de l'apprêté des hommes ... Soudain, une fenêtre s'ouvre et une dame passe la tête pour nous accueillir.

"Vous dormez ici ce soir? Non? Alors dégagez de la terrasse! La terrasse, c'est interdit pour cause de Covid, même pour les gens qui dorment ici. Alors filez ! Ha je te jure, ces jeunes ça pense au Covid que quand ça les arrange ! Et puis qu'est-ce que vous faites encore là ? La pause c'est après le mauvais pas, pas avant! Vous allez vous tuer et vous êtes encore trop jeunes pour mourir! Et qu'est-ce qu'il a aux pieds lui, déjà des ampoules? Vous feriez mieux de bosser en chaussure de ski plutôt qu'en mocassin, ça vous ferait la couenne!"

Ok ok bah on est reparti alors, même pas eu le temps de finir mon Ovolmaltine, c'est dingue ça bordel on est mieux en ville vivement qu'on soit rentré ils sont agressifs par ici ça doit être le stress causé par le manque de béton. Piqués au vif, on a mis le turbo. On atteint rapidement le mauvais pas. Beaucoup de traces de skis en dérapage, mais on préfère opter pour la sécurité et chausser les crampons. On découvre tout les deux l'endroit, le passage n'est pas si impressionnant, mais on ne se fait pas d'illusion sur l'issue qu'aurait la chute. De l'autre côté, les nuages s'entrouvrent enfin et nous laissent apercevoir une jolie chenille sur le glacier. Dans la traversée, on brasse un peu et un serrage "ample" de ma guêtre entraine un remplissage éclair en mode Titanic. Flic, floc, ils vont être beaux mes pieds !

Une fois sur le plat du glacier, nous nous engouffrons dans les traces de nos prédécesseurs. En rive droite, des rochers débaroulent à un rythme constant. La trace passe suffisamment loin du pied de la face, mais on serre quand même les fesses une ou deux fois. Parfois, on devance les nuages mais ceux-ci nous rattrapent au premier ralentissement. On a quand même le temps d'apprécier la vue des crêtes environnantes, de goûter la chaleur des rayons et de s'inquiéter des coups de soleil. La progression est agréable, la montée n'est pas trop soutenue, à l'exception d'un ou deux coups de culs. L'arrivée au refuge est quand même une délivrance, ça commençait à couiner ! 

Covid oblige, la soirée se fait reclus dans les chambres. Le repas nous est déposé dans une barquette jetable, bravo au livreur Deliveroo qui nous a monté ça depuis la vallée ! Heureusement, on a quand même le droit de naviguer dans les parties communes et nous pouvons donc profiter, émerveillé, du couché du soleil sur une magnifique mer de nuage. La nuit se déroule sans encombre, nous avons notre chambre privative, ce qui serait d'un luxe indécent si ça ne boostait pas le volume sonore des voisins, revigoré par cette intimité inédite en refuge ...

Le lendemain matin, après un rapide petit dej', nous sommes les premiers à partir. Nous avions interrogé la gardienne sur l'heure de départ conseillé. "6h, 6h30 max! Attention au changement d'heure hein!". Ha oui, ce fameux changement d'heure. Réveil 5h15, soit ...4h15 à l'ancienne heure. A voir l'affluence au départ, on doit être les seuls à avoir ajusté nos montres... Il fait froid, alors on met les couteaux. 50m plus loin, on décide de les retirer. La neige est assez meuble et la pente douce, autant profiter du calme. On profite du glacier qui est offert à nos seuls yeux, quel plaisir. Les étendues sont blanches et quasi immaculées. Les anciennes traces se perdent sous une fine poudre amenée là par le vent. On prend plaisir à trouver notre cheminement, en essayant de trouver le parcours le plus intelligent pour ne pas s'exposer aux séracs qui menacent dans les faces (sage décision ...)

Autour de nous, à l'incendie de l'aube succède le soleil du petit matin qui vient réchauffer l'atmosphère. Le ciel est immaculé, la journée s'annonce vraiment excellente ! Le coup de cul pour monter au col des Dômes m'achève, nos poursuivant profitent de ma faiblesse pour prendre le lead. Au col, une rapide pause est salvatrice, et nous permets de nous équiper en crampons. La pente est assez raide et si nos prédécesseurs l'attaquent skis aux pied, ça nous parait un exercice bien périlleux qui leur fait perdre un temps précieux ... et nous permet de reprendre la tête pour la phase finale de l'ascension. 

Olivier est devant, et trace sur cette arête où la neige fraiche de l'avant veille n'a pas encore été déflorée. A notre gauche, une petite corniche et une belle pente blanche qui ramène au glacier. à notre droite, une pente non moins raide qui plonge dans les abîmes de la face nord. Il faut rester concentré et s'en remettre à son flair pour tracer une belle ligne droite vers le sommet. Olivier réussi l'exercice avec brio. Derrière nous, la foule commence à se mettre à la queuleuleu mais ne semble pas pressée de nous dépasser.

Et nous voici arrivé les premiers au sommet ! La vue est grandiose, nous surplombons des massifs bien connus des Gaulois, tel que le Beaufortain, les Aravis, et au loin la Vanoise et la Grande Casse qui nous fait un clin d'œil. Mais nous sommes encore petit face à l'aiguille de Bionnassay et le Mont Blanc dans l’enfilade ! Il n'y a pas de vent, il ne fait pas froid, on resterait bien là un moment si nous n'étions pas à présent cernés par des skieurs, des guides et leurs clients. J'éprouve des difficultés à chausser mes skis, puis c'est ceux d'Olivier qui font des leurs et déchaussent intempestivement. Dans ce laps de temps, nous sommes devancés et voyons partir les premiers groupes. C'était bien la peine de s'échiner à faire la trace pour offrir la primeur de la descente à des inconnus. Ingrats! 

La calotte qui s'étend sous le sommet est large et peu raide, parfaite pour se mettre en jambe. Passé quelques plaques de neige dure exposées au vent, nous découvrons une incroyable poudreuse. Les conditions s'annoncent folles. Nous arrivons en haut du mur d'Armancette. A main droite, la neige est immaculée mais ne sachant pas si la pente nous cache des surprises, on reste sagement en main gauche, là où c'est moins raide et où des traces de nos prédécesseurs nous guident vers le glacier. La pente est large et la poudre est présente en quantité, alors les virages s'enchainent avec un plaisir intense, bien que la prudence nous impose un rythme haché. En contre bas, un skieur solitaire remonte la pente tel un forçat. Impressionnés par l'effort que représente une montée à la journée par Armancette, on tente de ne pas lui envoyer trop de neige. 

Plus bas, nous rejoignons le glacier. La pente est moins raide mais la neige toujours bonne, alors nous lâchons les poneys et tentons d'offrir notre meilleur ski. L'endroit est large, et offre un terrain de jeu dont la seule limite est l'envie de ne pas descendre trop vite pour s'en garder pour plus tard. Il ne faut pas se laisser emporter sur tout le glacier qui débouche dans un cul de sac, mais bien penser à traverser à droite sous un ressaut rocheux. On apprécie d'avoir des traces pour nous guider. Arrivé là, il faut repeauter pour une dizaine de mètres. Puis basculer sous la face nord des Dômes de Miage, face à l'imposante Aiguille de Bionassay. La neige est toujours bonne, nous n'en revenons pas du hold-up en cours. Mais que fait la police ? Elle intervient ! En l'espace de quelques dizaines de mètres, on passe de la poudre à une neige lourde, croutée et recouverte de bouloches. Le ski se fait moins agréable (pas trop tôt!) et nos cuisses explosent sous les contraintes. Plus bas, nous rejoignons une jolie moquette, mais qui laisse très vite la place à une neige béton. Puis, les derniers atermoiements quant à l'itinéraire à suivre pour quitter ce petit coin de paradis. La combe amène en haut de barres, et il faut bien suivre la trace sur la carte IGN, à main droite. Il faut cependant procéder avec prudence car le cheminement est assez chaotique, pas du tout lisible et bien exposé au-dessus des falaises. Là, on ne regrette pas de ne pas passer les premiers. Il nous faut déchausser pour descendre le lit d'un ruisseau puis un sentier raide sous les sapins. Plus bas, on rechausse pour un classique "cross-derby" de fin de sortie, moins agréable que celui de la Jasse! Voilà qui termine de détruire nos cuisses qui espéraient se faire oublier. Puis la sortie s'achèvera par un portage jusqu'à la voiture, pas si long mais qui nous a paru sans fin !

Quel lieu, quel itinéraire, quelle sortie ! Un moment incroyable qui nous a régalé. Et puis maintenant que je porte mes chaussures de ski au travail, je me sens un homme, un vrai. Tenterais-je en retour de chausser mes mocassins sur mes skis la saison prochaine ? Rendez-vous est pris, je vais vous régaler. Ne me remerciez pas c'est gratuit !