30-07-2022
Ecrins
TD
11h
Xavier G., dit "Cliff"
2

« Voie Allain - Leininger (Face S directe) : voie mythique de grande ampleur ». Voici comment est décrite en quelques mots sur Camptocamp cette voie ouverte en deux temps en 1934/35 par le non moins mythique Pierre ALLAIN et son compère Raymond LEININGER. Pour tout dire, lors de ma première traversée de la Meije, en 2009, cette voie m'était inconnue comme toutes celles de la face sud, que je classais dans la catégorie de muraille inacessible. Mais peu à peu, les années passant, cette voie est devenue un rêve puis un vague projet et enfin un objectif plusieurs fois repoussé, faute d'avoir les bonnes conditions au bon moment, comme en 2016 où nous nous étions rabattus sur une magnifique Traversée de la Barre.

Mais ce mercredi 28 juillet, quand je reçois en pleine réunion un message : « Dispo pour une Pierre ALLAIN ce week-end ? », j'avoue que j'ai bien du mal à rester concentré... et qu'il me faut peu de temps pour poser mon lundi...

C'est ainsi que je me retrouve avec Xavier, dit « Cliff » à La Bérarde ce samedi 30 juillet ver 9h45. Nous remontons un Vallon des Etançons très sec... la face Sud apparaît, immense, raide... Difficile d'imaginer monter tout droit au sommet du Grand Pic. Nous passons la fin d'après-midi au Refuge du Promontoire, nous nous reposons, nous en profitons pour monter à la Brèche du Crapaud afin de reconnaître le début de la voie. J'adore ce refuge perchée en pleine Meije, son ambiance alpine. Sandrine, sa très sympathique gardienne, vient nous conter quelques anecdotes après un excellent repas. Nous apprenons que nous serons 4 cordées, dont une guidée par Mathieu DETRIE, une pointure de l'Oisans, prof à l'ENSA. Nous sommes les seuls à prévoir de dormir au Refuge de l'Aigle, nous laisserons donc partir les 3 autres cordées devant.

0h : je n'ai toujours pas fermé l’œil et le réveil sonne dans 3h30... La journée promet d'être éprouvante...

4h15 : entre le refuge et les toilettes, nous démarrons... Depuis la Brèche du Crapaud, une via ferrata mène à un anneau de rappel qui permet de rejoindre le Glacier des Etançons. Nous voyons déjà que 2 des 3 cordées se sont trompées dans l'approche (faute sans doute de l'avoir repérée la veille). Nous remontons le Glacier des Etançons, je m'aperçois que mes crampons tout neufs sont mal réglés... Devant, une cordée pousse un cri, nous comprenons qu'un des grimpeurs a laissé tombé sa frontale.

5h30 : Cliff attaque dans du terrain péteux et rejoins en ascendance à gauche l'attaque originale, nous n'avons pas trouvé la variante MOULIN équipée après l'éboulement de 2018. Nous tirons 3 longueurs pour rejoindre le Fauteuil, plus facile, où nous passons en corde tendue, bien conscients d'être exposés aux chutes de pierre. Nous perdons du temps au niveau d'une petite grotte triangulaire, Cliff hésite, redescend, cherche un relais et finalement me fait monter. Je pars franchement à droite et je fais un long run en rocher moyen improtégeable : ambiance... Je me sens déjà fatigué après ma mauvaise nuit. Nous enchaînons ensuite avec moins d'hésitation jusqu'à la zone des vires déversées.

9h30 : En second j'ai toute les peines du monde à rejoindre Cliff, l'escalade me semble franchement difficile (6a?), je suis à peu prêt certain que que nous ne sommes pas dans la voie même si on trouve régulièrement des pitons. Je rejoins finalement à un relais mon partenaire, qui lui est sûr qu'on est dans la voie. Je fais 2 vagues attentives au dessus, ça a l'air très dur, je reviens au relais : « nous sommes trop à droite !». Nous redescendons donc en diagonale jusqu'à un relais sur béquet, sous un passage qui semble beaucoup plus facile. Nous revoici dans la voie mais nous avons encore perdu une petite heure.

11h: Par une magnifique longueur en dièdre, nous rejoignons la fameuse cheminée verte, souvent verglacée... mais évidement, cette année, elle est à peine humide. Ici 2 options sont possibles, mais je rate l'option facile et fait finalement relais sous un surplomb vert que l'on contourne par la gauche par une longueur en 5c+ (merci les chasses d'eau). Régulièrement, nous entendons des vrombissements dernière nous : ce sont des pierres qui tombent à grande vitesse !

12h30 : Nous arrivons finalement aux vires du Glacier Carré, 7 heures après avoir attaqué ! L’itinéraire redevient plus raide, nous laissons à droite une Vire à Bicyclette, nous grimpons dans du V/V+... Après une longue traversée à droite nous rejoignons une zone plus facile puis une brèche sur l'arête sud, qui marque la jonction avec les autres itinéraires de la face sud. Le topo devient ici moins précis : « suivre cette arête au mieux jusqu'au sommet (100 m environ, pitons, passages de 4b à 5a). » Problème cela ressemble souvent plus à un éperon, il est difficile de trouver le passage le plus facile, ça continue à être raide et grimpant. Nous voyons une cordée sur le rasoir de la Dent Zsigmondy. Nous arrivons finalement sur une antécime, il reste une cinquantaine de mètres faciles, nous pouvons nous décorder.

16h30 : Après plus de 12 heures d'efforts depuis notre départ du Promontoire, nous atteignons enfin le sommet !Nous découvrons des Arêtes très sèches et un glacier du Tabuchet bien tourmenté... 30 minutes de pause consacrées à essayer de régler mes crampons, et nous repartons...

17h10 : Premier rappel du Grand Pic, Cliff décide de balancer par-dessus bord téléphone, carte bancaire et cash ! Par chance, mis à part le téléphone, il retrouvera tout ! Nous essayons ensuite d’enchaîner plus rapidement mais mes crampons me posent toujours problème... Après la sortie de la goulotte, en revanche, nous passons en mode rapide, en désescaladant les 2ème et 3ème dent. Nous descendons la Dent Blanche (mais peut-on encore l'appeler ainsi lorsqu'elle est presque intégralement en rocher?) en rappel avant de cocher le Doigt de Dieu sans même nous arrêter. L'ambiance devient magique, le soleil se couche derrière le Grand Pic, la brume va et vient, le rocher rougeoie...

21h00 : Après les 3 rappels du Doigt de Dieu, nous voici enfin sur le Glacier du Tabuchet... Nous entamons la descente dans de bonnes conditions mais rapidement la trace remonte pour contourner une zone de crevasses. Cliff se retrouve devant une rimaye béante que seule une fine arête de neige/glace permet de traverser. Je dois dire qu'autant dans le 6 il a plutôt tendance à m'impressionner, autant là, je peux dire qu'il n'était pas trop à son affaire... Après plusieurs tentatives, il finira par franchir l'obstacle à califourchon, à reculons ! La suite est encore compliquée, nous progressons au milieu des trous, la pente déjà regelée n'est pas si débonnaire, je perds mes crampons...

23h00 : Refuge de l'Aigle ! Enfin, après une ultime errance sur le glacier, nous avons rejoint le refuge, où nous attendent la gardienne et un repas bien mérité !

Le lendemain  : Petit déjeuner en comité réduit, les 2 seuls autres passagers du refuge sont déjà partis. Nous débriefons la course avec la gardienne, nous discutons de tout et de rien, nous profitons du calme ambiant ! Car la descente s'annonce encore longue.... Pour rejoindre la Vire Amieux, nous devrons tirer un rappel et faire quelques mètres de désescalade comme on ne les aime pas... Mais le périple n'était pas terminé : il nous faudra pas moins de 4 stops pour rejoindre les voitures laissées à l'embranchement de la route de la Bérarde...

Bilan :

La Pierre ALLAIN enchaînée avec la traversée des Arêtes constitue un projet de (très) grande ampleur. Même si l'escalade n'est jamais très difficile, le terrain est raide, on progresse avec un sac assez lourd et la grimpe demande une concentration soutenue pendant un long moment. L'itinéraire est vraiment complexe, de nombreux pitons/relais laissés par des cordées égarées peuvent induire en erreur. Si la voie comprend quelques beaux passage d'escalade, c'est surtout l'ambiance qui est extraordinaire dans cette face immense, loin au-dessus du Vallon des Etançons, sans parler des vrombissements des chutes de pierres...