01-03-2019
Devoluy
1600
AD
2

Il existe des endroits ordinaires qui recèlent des secret extraordinaires. Le grand Ferrand est de ceux-là. Une montagne somme toute banale : nichée au coeur du Devoluy, massif coincé entre Vercors et Oisans, il n'excite pas les foules par son altitude dantesque puisque le bonhomme pèse tout juste 2760 sur la balance. On ne peut pas non plus dire que son nom ai marqué les chroniques alpines par des drames terribles. Non, monsieur Ferrand est un sommet bien sage. Pourtant, à bien y réfléchir, il se pourrait qu'il abrite quelque part une curiosité bien étrange. Oserais-je dire une course unique dans les Alpes?

Cette histoire commence bien tôt, un vendredi matin, alors que la nuit est encore obscure. Le camion de Jean s'arrête sur un chemin caillouteux. Devant lui, la petite citadine de Rémi n'arrive plus à monter. On se gare tant bien que mal, on s'équipe, on se prépare. L'équipe formée par 3 valeureux Gaulois va pouvoir se mettre en marche... sous le regard de Jean qui restera à l'intendance, victime d'une fort malvenue blessure à l'épaule.

La journée commence par 300 mètres à marcher sur un chemin large mais verglacé, qui serpente dans une garrigue où l'on imaginerais volontiers chanter les cigales. Mais les cigales sont encore endormies, car l'hiver est encore là et la neige recouvre les herbes et les rochers. Nous arrivons à une cabane, où nous pouvons chausser les skis. Puis nous montons dans des pentes douces, nous frayant un chemin dans une végétation très basse. Nous laissons à présent celle-ci en arrière et nous enfonçons dans une combe. Autour de nous, des falaises se font de plus en plus hautes et viennent nous encercler. La neige est dure et recouverte d'une fine couche de glace. Parfois on arrive à la casser avec nos carres, mais mieux vaut être prudent : une petite glissade sans conséquence me vaudra de perdre quelques dizaines de mètres et d'être séparé du reste du groupe. Nous arrivons sur un replat : un magnifique cirque rocheux nous fait face. En haut, le vent se lève et souffle fort sur les crêtes. En bas, nous sommes congelés sur place, le temps d'enfiler les couteaux pour une traversée plus raide qu'avant. Et au fond, le Grand Ferrand forme une barrière verticale infranchissable. Infranchissable, et pourtant nous suivons une petite trace qui mène jusqu'à une pente bien droite. Nous la remontons jusqu'au pied de la falaise. Au dessus de nous, une immense arche forme un toit, meublé par quelques stalactites de glace. Et là, les traces continuent et s'engouffrent dans ce qui ressemble à une grotte aux proportions gigantesques ...

"Maintenant, nous allons nous enfoncer véritablement dans les entrailles du globe. Voici donc le moment précis auquel notre voyage commence."

Nous avons à présent passé nos skis sur nos sacs, et les avons échangé contre paire de crampons & paire de piolets. La pente est très raide, mais toujours bien chargée en neige. Si on se retourne, on ne vois que le rocher, et nos traces qui filent vers le bas, vers la lumière. Nous sommes réellement DANS la montagne, c'est impressionnant. Le chemin louvoie et viens buter contre un premier mur de glace. On longe celui-ci, et on continue dans la neige jusqu'à un second mur de glace. Celui-ci est au soleil, car déjà l’abîme s'ouvre sur un ciel azur qui nous éblouie. On sert les fesses dans ce ressaut improtégeable, mais déjà nous voici à l'air libre. Nous avons été vomi sur une très large vire qui traverse la face à mi-hauteur. La vue sur l'Oisans est magnifique, et le cadre impressionnant. On suit la trace, qui monte toujours dans la pente qui se raidit plus encore. Là, de nouveau, elle va buter contre une falaise qui semblerait infranchissable. Mais le suspens est à présent éventé: là haut, une grotte vient nous avaler. Celle-ci est moins large que la précédente, malgré des proportions très respectables.

Cette seconde partie offre de nouveau un rapide ressaut mi glace, mi neige dure. Il faut être sur de ses appuis : pas question de protéger sur ce terrain, et le toboggan sous nos pieds offre un aller simple vers le drame à toute la cordée. Quand on lève la tête, on ne peu refréner un sifflement d'admiration. Car là haut, ce sont les arches inter-ferrantes: une double arche, curiosité géologique improbable qui sépare le Grand Ferrand du Petit Ferrand. Au pied de l'arche, une plate-forme où l'on se regroupe. De très larges sourires sont sur chaque visage. Il faut encore monter dans la pente, et obliquer à gauche. Là, on troque le gigantisme pour le nanisme: une petite chatière dans laquelle il faut se faufiler. Les skis manquent de racler le rocher, mais on parvient à passer sans encombre. On passe de l'autre coté de la muraille, dans la neige. Là, il conviendrais normalement de décrire une fois encore la face que l'on surplombe, mais entre temps d'épais nuages ont englobé notre montagne et il nous faut dire au revoir à tout nos rêves de paysages. Il ne reste plus qu'a remonter la pente qui s'applanie et se faire de plus en plus débonnaire, jusqu'au sommet marqué par un large kairn. ça y est, c'est fait, le Chorum Olympique!

La descente se fait par la voie normale. En cette saison, celle-ci n'est pas si triviale, comme dirait un renommé Gaulois du Lundi soir. Un cheminement sec facile mais fort désagréable et où chaque morceau de roche tente de se faire la malle (et parfois réussi, au grand dam de Sabine qui teste l'efficacité de son casque. Puis de nouveau une pente de neige : il serait possible de chausser maintenant mais la neige est dure, la pente raide et une belle barre rocheuse en contre bas n'attends que ça. Alors on désescalade dans la brume jusqu'à une brèche dans la fameuse brèche. Là enfin, on chausse. Les premiers virages ne font pas rêver: encore, la neige est dure et traffolée. Plus bas, on finira par passer sous le nuage et la visibilité retrouvée nous permet de prendre enfin du plaisir dans la glisse.

On redescendra du bonheur jusqu'au oreille au camion. ravi de ce voyage en profondeur qui nous aura poussé en hauteur!