02-07-2022
Ecrins
3750
D
1

Le téléphone vibre. "Présent Camarade!". Voilà mon carrosse qui attend. Il est 5h passé, je ne suis vraiment pas convaincu par l'horaire de ce départ, trop matinal. C'est qu'on a donné tout l'hiver, tout le printemps, maintenant c'est l'été : la saison des grasse mat', du farniente et des canicules qui tuent. Mais c'est le prix à payer pour avoir l'attention du François ! On prend la route en direction d'Ailefroide. Objectif du jour : monter au refuge du Pelvoux et y arriver pour le déjeuner, taper une bonne omelette avant de partir repérer l'approche du lendemain. Et la sieste, on la fait quand ? "Bah après le dîner, Camarade !" Mais pourquoi n'y avais-je pas penser !

Globalement, le weekend commence comme 99% des sorties Gauloises : route, préparation des sacs, marche, pause, gorgée d'eau, ébahissement devant la beauté du vallon, papotage et ragots sur les Gaugaus'. Que du commun pour le lecteur attentif, alors attardons nous plutôt sur l'objectif du weekend : le Petit Pelvoux, une des nombreuses cimes qui encadre le glacier des Violettes, formant ce sommet couramment nommé Pelvoux. Pointe Puissieux, Pointe Durand, Petit Pelvoux, 3 dents du Pelvoux ... une coopérative touristique avant l'heure. Notre objectif, nous l'atteindront par son Arête Sud, unique voie d'ascension référencée. Une belle arête ponctuée de gendarmes, dont on distingue très bien le profil depuis la vallée. Un objectif assez naturel pour le grimpeur, un peu moins pour un François dopé aux 4000 : seulement 3750 au compteur. Objectif "petite bite" comme on dit au PMU. 

Mais reprenons notre récit. Après une bonne omelette, un coca et de nombreux coups de soleil, on s'attaque à la seconde partie du programme de la journée. Repérer l'approche, histoire de s'ajouter un peu de D+ dans les pattes. Promenade sympathique et pas inutile. On suit une sente bien marquée, mais qui traverse pas mal d'obstacles naturels : des dalles, des petites barres rocheuses, des traversées un peu expo. Finalement, on atteint un gros pierrier qui déroulera jusqu'à l'attaque. Plus de difficultés dans l'orientation à partir d'ici, et puis on voudrait pas louper l'apéro de 16h15. D'ici, cette arête sud semble moins commode. Le Petit Pelvoux nous apparaît à présent comme un bastion raide et hostile, loin des lignes lisibles et élancées que nous montre le topo. De la différence entre la photo et la réalité, pose Tinder et vient en montagne, tu verras c'est les mêmes arnaques.

Le lendemain matin, réveil à 4h. La nuit a été bonne, même si un groupe d'Italiens a fait un raffut de tous les diables en se levant, de 3h à 4h. Il parait que c'est dans le règlement intérieur, chaque refuge des France doit avoir un groupe d'Italien qui fout le bordel. Quelqu'un sait si en Italie le règlement impose le groupe de Français, gauches et bruyants ? On retrouve la sente repérée la veille, après avoir rapidement abandonné les nombreuses cordées qui montent en direction du Pelvoux ou de Sialouze. De notre côté, c'est plus sauvage. D'ailleurs, nous sommes seuls et le resteront. Les difficultées sont vite expédiées, reste à présent la remontée du pierrier. Long et pénible, on se passerait bien de ces approches qui cassent les cuisses avant même la course. On pourrait inventer la course d'alpi sans approche ? Il paraît qu'à Cham' ils ont fait fortune avec ça ! 

Arrivés face à la muraille, on hésite un peu sur l'attaque : ça semble passer partout, d'ailleurs on a pas sorti la corde qu'on a déjà mis les mains depuis bien 30 mn, si ça se trouve on est déjà dans la voie ? Comme souvent, en cas de doute il suffit d'adopter une interprétation très littérale du topo : buter contre le bastion, rejoindre un gendarme secondaire à gauche et chercher une cheminée. Alors on monte jusqu'à buter, là on tire à gauche jusqu'à un gendarme et miracle, une cheminée qui ressemble pas mal à la description du topo. A ce stade, on va enfin commencer la voie, ça tombe j'ai déjà plus de cuisse et l'envie de vite en finir pour aller faire la sieste. 

La grimpe déroule assez bien, le rocher est plutôt bon et agréable. Sculpté, solide, on trouve de bonnes prises partout et l'itinéraire est très logique. En haut du premier gendarme, on désescalade dans une brèche. Le rocher y est moins bon, avant de repartir en face dans une belle longueur. C'est raide, ça grimpe bien. Le crux de la voie s'y trouve, une large fissure au fond d'un petit surplomb. Le pas nécessite un peu d'énergie, mais est logique et protège plutôt. Comme j'ai une réputation de bon grimpeur à défendre, je laisse François tout faire en tête. Parce que j'ai aussi une réputation de gros flemmard à imposer. En haut de ce second gendarme, on opte pour un petit rappel. Là, on quitte le bon rocher pour entrer en terrain montagne. L'itinéraire louvoie un peu sous les gendarmes dont on esquive les sommets, et se déroule dans des amas de blocs plus instables. Encore une fois, une interprétation littérale du topo est la clé. Pas de neige cette année, nous voici au pied du dernier gendarme. De nouveau un très beau rocher. François est lancé comme une fusée et survole les difficultés. Il s'envoie même "la variante du grimpeur" sans s'en rendre compte. Puis, une promenade au jugé, entre arête peu marquée et couloirs encombrés, nous débouchons au sommet.

On s'installe pour une petite pause bienvenue. Il est midi et le panorama est à couper le souffle, on aurait tort de s'en priver. On débriefe la course, c'était très joli, de la jolie grimpe sur du bon rocher, verticale mais prisu, un peu dans le style du pilier Chèze au Replat, en moins dur mais plus long. Très recommandable ! Puis notre regard se tourne vers la descente. Le glacier est désert, les cordées du Pelvoux sont sur le retour depuis bien longtemps. François tente une approche, me fait les yeux doux et me propose d'ajouter un A/R au sommet de la Pointe Puissieux, "tant qu'à être là". Le pauvre s'est pris un râteau, sa joue est toute rouge (et ce n'est pas le soleil). C'est que je suis déjà bien trop concentré sur la suite du programme : descendre. Et ça, c'est un gros chantier. Je n'ai encore jamais emprunté le glacier des violettes, mais tout les topos et CR sont unanimes : c'est long jusqu'à Ailefroide ! Alors sur les coups de 12h30, on s'y met. Malgré les températures élevées, la neige porte plutôt bien et le glacier est encore bien bouché. On ne traine pas trop sous le seracs, et on arrive rapidement au crux de cette descente : une large crevasse à passer. Selon le moment dans l'année, il faut soit désescalader, soit descendre en rappel dans la crevasse et remonter en face. La saison est encore à la désescalade. Arrivé au-dessus, c'est assez impressionnant. il faut descendre 5/6m qui paraissent bien vertical, en visant un étroit pont de neige. Heureusement, une cordée précédente à sculpté un champignon de neige. J'y ajoute quelques coups de piolets, je tasse un peu tout ça et une fois que je juge la forme parfaite, installe une sangle pour en faire un beau relais. Je descends le premier, tout en me félicitant que nous ayons pris le temps de nous assurer. C'est raide et avec un seul piolet, il faut de l'inventivité et des biceps pour désescalader sans se la coller.

Puis, nous quittons le glacier et trouvons facilement le premier rappel. On a une rapline et un brin de 50, autant dire qu'on tire une grande tangente qui vient nous déposer sur le névé plus bas. On doit enchaîner avec un deuxième rappel, alors on love très sommairement la corde et partons en crampons dans un pierrier. Finalement, la traversée est longue et assez expo, le grimpeur s'accomoderait assez mal d'une chute dans cet endroit là. Après coup, ça aurait sûrement valu le coup de ranger la ferraille, qui était plus une gêne qu'autre chose. Le second rappel se trouve assez bien (de toute façon, c'est dans un couloir qui bloque le passage). On se mouline depuis un relais pour aller le chercher. Je lance mes premiers jurons, François s'en montre surpris. Mais oui, traversée expo = Romain ronchon, c'est une théorie qui se vérifie à chaque fois. Deux rappels nous attendent à présent : on désescalade facilement le premier, là où le second se fera de manière plus moderne. Puis, nouvelle traversée sur le glacier, sous les seracs. On bute sur un ressaut rocheux, que l'on remonte sur une corde à nœuds. Ambiance salle de gym' mais sans mono' en moulebite fluo et basses médiocres pour bouger en rythme. Et là, devinez qui on rattrape ? Mais oui, ce petit gazouilli chantant : c'est nos copains d'Italie ! Une belle grappe sur le rappel suivant. Ils sont au moins 10, heureusement la majorité déjà en bas. Pas de soucis, on va attendre. Enfin ça c'est ce qu'on se dit, mais le temps de boire, manger et souffler un peu, c'est à peine un lascar qui s'est laissé couler sur la ligne. Alors on décide de jouer les gros bras et de se mettre au relais avec eux, histoire de leur foutre un peu la pression. On distingue bien la suite de l'itinéraire et un sentier bien visible. Cool, une fois l'Italie éliminée, on tire enfin nos deux rappels, rapidement et proprement, avant de débouler sur le névé. On range le matos, on plie la corde et on commence la marche. 

Mais ? Qu'est-ce qu'ils font encore là les Italiens ? Bon sang, il y a encore une barre rocheuse et un rappel à tirer. La fleeeeeme. On se tâte à désescalader, mais ça n'a pas l'air de passer. Alors on tente les yeux doux à notre collègue Transalpin, lui demandant à utiliser sa corde pour descendre. "Je sais pas, c'est vital?" "Non, c'est juste qu'on a tout rangé" "Ha bah alors non je crois pas. Allez ciao !". Là on se sent un peu con, un peu haineux aussi. On ressort tout, bien sûr la rapline choisit cet instant pour nous faire ses plus beaux nœuds. Et bien sur, c'est là que déboule la cordée des bourrinos du coin : le genre qui a torché l'ascension technique des 3 dents du Pelvoux et la descente du glacier des Violettes en 15 minutes (j'exagère, il leur a fallu 16 minutes parce qu'il a fallu attendre Jean-Pedro qui montait en courant depuis Ailefroide). On essaye de baragouiner quelques mots d'Italien pour faire illusion, mais ça ne marche pas : à présent c'est nous les boulets.

Plus bas, on rejoint enfin le sentier et on range pour de bon le matos. De gros nuages et quelques gouttes rafraîchissent l'ambiance. On se rappelle du bulletin météo de la veille : "Beau temps, quelques ondées en soirée". Ha bah oui, c'est qu'il commence à faire tard ! La suite déroule sur un long sentier, raide et casse pattes, qui nous ramène aux vires d'Ailefroide. Un complexe réseau de vire à flanc de falaise, un peux expo mais surtout réputé paumatoire. Heureusement pour nous, un coup de débroussailleuse à été passé, autant dire qu'on hésite pas trop sur la direction à prendre dans le sous bois pour rejoindre ces fameuses vires. Quant aux vires, c'est un très joli chemin, nécessitant un pied alpin mais qui ramène rapidement à Ailefroide (non sans avoir doublé une dernière fois nos copains d'Italie).

Arrivé à la voiture à 20h30, ça fait quand même une grosse journée. Bien sûr, le camion à pizza est fermé "exceptionnellement" ce soir-là. Mouais, Pizza, Italie, COMME PAR HASARD. On tente notre chance au resto de la place, les gens sont encore attablés. mais la cuisine est fermée. Dur, on se contentera d'un coca et de deux boules dans une coupe, parce qu'on a pas vu assez de glace ce jour-là. Puis, une longue route jusqu'à Lyon, sous un orage dantesque où la Meije se transforme en paratonnerre sous nos yeux, pendant que je tente de couper quelques tranches de brioches à la lumière du tunnel du Chambon. C'est comme ça que prennent fin les plus belles sorties !