27-05-2023
Mont Blanc
Steph, Marc
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La Mallory-Poker

En mars, un copain niçois très occupé par ses deux filles me propose de profiter du lundi de Pentecôte pour organiser une de ses désormais fort rares sorties en montagne. Son objectif : la Mallory-Porter, un itinéraire très esthétique mais pas trop dur dans la face nord de l’aiguille du Midi.

Avril et mai étant frais, nous sommes confiants. Seulement, la météo nous joue des tours : les averses orageuses se multiplient dans les jours qui précèdent la Pentecôte, et des orages sont prévus sur toutes les Alpes le week-end visé.

En milieu de semaine, la situation s’éclaircit : les orages devraient se concentrer dans les Alpes du Sud. A Chamonix, le temps devrait rester stable au moins jusqu’en milieu d’après-midi. C’est risqué, mais nous tentons le coup de poker, au bluff.

Steph prend la route après le boulot, avec un collègue sudiste recruté au dernier moment. 5h de route par l’Italie et le tunnel. De mon côté, je pars de Lyon en train en début d’après-midi. Je gagne cette course à distance malgré un retard de train et une correspondance ratée. J’arrive à Cham vers 19h30 et attaque la montée au plan de l’Aiguille dans une lumière de fin du jour splendide. Le nuage qui se faufile sous les nuages de l’après-midi teinte les dômes du Mont-Blanc d’un rose d’une délicatesse infinie. Les conditions sont parfaites pour le Mont Blanc !

Nuit seul (oui, seul !) au local d’hiver du plan de l’Aiguille. Un luxe incroyable pour ce massif ! Grasse matinée et petit déjeuné au soleil le lendemain. Menu : fougasse achetée la veille à Canaille et Pétrin ?

Les deux Niçois arrivent en fin d’aprèm. Nous nous aventurons vers le Peigne, visant une voie dans la face NE pour nous échauffer. Mauvaise surprise : il y a beaucoup, beaucoup de neige et elle est très, très molle. Nous rentrons bredouilles et trempés. Le ciel s’est couvert et les chaussures ne pourront pas sécher…

Le lendemain matin, à 4h, il fait chaud. La neige est à peine regelée. Nos chaussures sont en effet imbibées d’eau. Mais nous tentons le coup tout de même. Nous sentons le regel arriver progressivement à la fin de la nuit et les conditions semblent bonnes quand nous arrivons au pied du couloir. Nous faisons tapis, espérant bluffer la montagne. Le début de la voie déroule, dans une neige suffisamment tassée et dure. Notre Niçois d’élite se charge ensuite d’une longueur en mixte bien taquine. Je grogne un peu dans ces passages où il faut charger des pointes de crampon sur des placages fragiles et coincer les piolets dans des fissures fort peu adaptées…

Mais, mauvaise surprise, la montagne demande à voir nos cartes. Elle abat son atout maître : la canicule. La neige est déjà à nouveau très molle alors qu’il n’est que 8h du matin et qu’il nous reste 700m à monter. Grand conseil des trois gugusses. Option 1 : continuer, au risque de traverser les pentes supérieures chauffées par le soleil depuis le matin. Option 2 : continuer, et si ça ne passe pas en haut, passer une très mauvaise nuit en attendant le regel du lendemain. Option 3 : faire demi tour. C’est la solution raisonnable qui l’emporte. Les becquets sont nombreux et solides à Chamonix : nous parvenons à redescendre au pied de la voie en n’abandonnant que 3 sangles et en désescaladant 200m de couloir dans une neige à nouveau détrempée. J’ai une piscine dans chaque chaussure.

Le retour au plan de l’Aiguille ne fait qu’empirer l’état de nos textiles. Nous arrivons à la buvette avec plus d’eau sur nous qu’il n’y en a dans toute la réserve des gardiens. La météo du lendemain s’annonçant tout aussi chaude, nous décidons d’abandonner (pour cette fois). Nous aurons donc, en 2 jours, fait 2 approches, une demie voie, et perdu beaucoup de calories. Mais c’était quand même bien sympa, très formateur (la réchappe dans les couloirs, et les goulottes, quel bonheur !) et surtout cela donne envie de revenir ! Avis à bon entendeur…