20-01-2019
Bornes - Aravis
D
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Il est des buts humiliants et des buts qui construisent. Les buts, faut bien le dire, on collectionne un peu ça ces derniers temps avec le camarade. Colère du Ciel, Cervin, quelques-uns des derniers que nous ayons enregistrés. Malgré tout, ils m'ont laissés un vrai goût d'achèvement. La réussite d'une course ne se mesure pas au foulage de cime mais bien à l'entente d'une cordée. Mais quand on se lance dans Aravicime ce dimanche, c'est malgré tout l'esprit plein d'espoir de sommet. Hé oui quand même, faut pas charier!

Aravicime c'est une jolie goulotte qui se trouve dans ... les Aravis. L'approche se déroule à ski, et est plutôt efficace. Une poudre délicieuse s'est déposé les jours précédents dans la combe, et promet un grand ski au retour. Je me surprends même à penser "bah, si on a fini assez tôt, on pourra repeauter pour remonter chercher un peu plus de dénivelé! Finir tôt, vaste programme : accéder au sommet, c'est passer par 11 longueurs, beaucoup de neige, un peu de glace en 3+ et une longueur en mixte M4 "le crux de la voie". Autant dire que je me trouve très ambitieux à ce moment là.

Pourtant, on a quelques solides arguments. on avale en 1h30 l'approche donné en 2h par le topo. Il fait plutôt doux, nuageux mais sans vent. Ho, j'ai bien une petite douleur à la hanche qui m'a handicapé en fin de semaine et Rémi accuse une légère fatigue, serait-ce du au petit trail nocturne couru quelques heures plus tôt? No joke.

On s'équipe et Rémi prends la première longueur. Une pente de neige qui se redresse, il déroule quasiment toute la corde sans poser un point avant de se vacher au relais, cul dans le vide. Ouch, ça commence bien. J’enchaîne avec une seconde longueur, la même mais cette fois ci, c'est de la glace dans quoi on tape sous la neige. Je tente un brochage, en vain: la couche est trop fine. Je laisse tout de même la vis en place, une sangle à sa base. C'est très psychologique mais ça rassure quand même. Et ça déroule, ça déroule, jusqu'à un relais plus confortable que le précédent. Là encore, une progression facile mais très expo.

On a fait deux longueurs? "gravir sur 80 m des pentes de neige pour gagner R0 " Ha oui non en vrai on va tout juste pouvoir attaquer. Notons que j'ai déjà vu plus trivial comme "pentes de neige". La première "vrai" longueur attend Rémi. Cette fois ci, ça grimpe pour de vrai. Un peu de glace et des mottes de terre gelée. ça ancre béton, ça se grimpe pas trop mal ... à condition de ne pas crisser sur le rocher lisse qui affleure par ci, par là. Rémi me fait peur mais passe la difficulté avec classe, dans le plus pur style "dry toofing". J’enchaîne avec une courte pente de neige, et fait relais à l'entrée d'une grotte. Face à nous, un nouveau mur. Pas très haut, mais totalement vertical. A gauche, le rocher, à droite de la neige sans consistance et au milieu un mince placage de glace. Hum, va pas falloir déconner.

Rémi se lance le premier. Il sécurise son attaque par une broche. Là encore, là glace est trop fine pour un brochage académique. Oublions les judicieux conseils du Tusch en matière de broche et appliquons la méthode Coué: c'est mieux que rien du tout. Rémi monte sur la droite dans la glace, ça ancre pas si mal. Mais au dessus, point de salut. Il traverse vers la gauche et rejoins le rocher. C'est un cul de sac: aucune accroche, les quelques morceaux de glace filent sous son piolet rejoindre la combe en contrebas. C'est un beau combat qui se déroule là. Il jure, s'épuise, et fini dans une fuite à poser la grosse Bertha* dans une aspérité au coeur du dièdre. ça tiens? Vache toi dessus on verra bien!

*Grosse Bertha; Friend #3 très lourd et très volumineux que Romain veut toujours qu'on se trimbale (normal c'est Rémi qui le porte) alors qu'on s'en sert jamais. Sauf une fois au chalet.

Depuis son perchoir, Rémi souffle. Il repart. Il faut déjà remonter chercher les piolets resté encastrés 5 cm trop haut. Un ange passe. Les pioches sont en main, ça repart. Tentative tout droit. Échec. Tentative à droite. Échec. Tentative à gauche. Échec. Malgré toute la beauté du geste, le gars s'épuise, je le mouline au relais. "Bon bah je te laisse y aller". J'étais bien dans mes pentes de neige moi! A vrai dire je n'y crois pas du tout, à ce moment là mon plan est plutôt de remonter au friend, le récupérer et désescalader en mode bérézina. Une fois au friend, je contemple mes pieds et cette option ne me parait plus du tout sexy. Et puis quitte à y être... Je tente l'option "à droite toute". Je progresse lentement, à la recherche des rares ancrages. Je me paye tout de même le luxe de rajouter une broche qui, grand luxe, n'est pas si mal! Un peu plus haut, nouveau cul de sac: ce n'est plus que de la neige sans consistance sur un rocher lisse. Je sens mes pieds qui tremblent: talon baissé, ça va mieux! A gauche, un petit surplomb en glace verrouille la sortie du dièdre, mais au dessus je suis sur que ça ancre. Je me lance dans une traversée sur des œufs, mes piolets justes posés sur un placage. Puis j'envoie ma main gauche au loin, premier coup au dessus, rien. Deuxième, troisième, ça ancre! Je déplace mes pieds dans l'axe, ramène le piolet droit, ça y est! Un petit jeu de pied et me voici rétabli au dessus! Il ne me reste plus qu'a dérouler une nouvelle longueur de 50m dans une pente de neige entrecoupé d'un petit ressaut de glace.

On a grillé nos cartouche "mental", et fait fondre la montre. La sortie en haut est une hypothèse qui s'éloigne de plus en plus, à la poursuite du "si on redescend tôt on repeautera!" Mais Rémi tiens quand même à pousser plus haut, après tout maintenant qu'on y est! Une nouvelle longue pente de neige. L'accès au relais est très malcommode, il faut grimper sur un bout de rocher. Ha, c'est parceque ce n'était pas le bon relais. Dommage mais ça fait de belles photos. Bon, là on décide d'arrêter les frais. On tire les rappels, vu du dessus c'est encore plus impressionnant. C'est quand même bien raide tout ça.

On arrive finalement aux skis, plus personne dans la combe. On peut profiter de cette poudre de rêve. On se jette dans la pente et se surprends à enchaîner les virages "dré dans l'pentu". C'est que là dessus, tout le monde sait skier, même nous! (enfin, je fini quand même tête la première dans la neige histoire de me rappeler à l'ordre).

Nous arrivons finalement à la voiture avec la fin du jour. Épuisé, mais pas humiliés : construits. Construits par ce but qui nous a réservé un beau combat: en temps normal ça nous parait abordable, mais en l'état actuel, clairement pas en conditions. ça passe, bien sur, mais il faut y aller banzaî tout du long. Et pour nous, c'est clairement à la limite de notre niveau. Mais ne désespérons pas d'y retourner plus tard dans la saison, en espérant y trouver de meilleures conditions. Et en gardant le bonheur d'être là tout les deux! C'est en cela que les buts construisent : ils bâtissent de nouveaux rêves.