30-06-2019
Ecrins
1350
F
Michel
1

La canicule accable la France, les gaulois sont partis chercher la fraîcheur à Ailefroide. De mon côté, un programme acté de longue date prévoyait un weekend montagne&acclimation à cette date. Mon choix se porte sur le pic Coolidge, par la voie normale. Une course que je n'ai jamais faite, accessible au débutant que j'emmène, permettant de monter assez haut en altitude pour faire des globules et, bonus, offrant une vue dégagée sur une course qui est au programme de la saison (no spoil, cf compte rendu à venir, enfin j'espère ...) Mais voilà, avec ces températures très élevées et une course en partie en neige en cette saison, le choix est-il pertinent? Un coup de fil au refuge me rassure : les conditions sont excellentes, à condition de bénéficier d'un bon regel. Chose qui est arrivé une fois sur deux dans la semaine précédent mon appel. Allez, il faut être joueur, on tente!

Sauf que... refuge complet. Tant pis, ce sera une sortie à l'ancienne, en bivouac! On monte en plein cagnard. Le ciel se couvre et la météo annonce des orages, alors on s'arête boire un coup au refuge un long moment. la météo annonce une dispersion des nuages dans la soirée, mais bivouaquer ressemble quand même à un coup de poker. La gardienne nous conseille une grotte 300m plus haut en direction de l'attaque, qui fait un bon couvert. Ou de rester à proximité et s'abriter au refuge en cas d'averse. On décide de continuer à jouer et de monter. Dernier conseil de la gardienne "le refuge est complet, et presque tous montent au Coolidge demain matin... alors pour info, je les lève à 3h *clin d’œil*". message reçu, on mettra donc le réveil à 2h50! On arrive à la grotte, c'est un bivouac moins spartiate qu'imaginé. Mais c'est dommage de se priver de la vue sur les étoiles, et les nuages sont en train de se dissiper. Alors malgré les quelques gouttent qui tombent, on décide de poursuivre la monté et de rejoindre le bivouac suivant. On est joueur ce soir. Bivouac grand luxe, muret, terre plane au sol et plusieurs emplacement. On est seul et au pied des névés, en plus d'avoir gagné 600m de D+ sur l'approche, on pourra partir crampons aux pieds demain matin!

Petite crainte en début de nuit où des nuages menaçant réapparaissent, mais nous partons finalement sous un ciel clair et un regel correct sur les coups de 3h30. On s'élève dans les névés, et nous nous engageons dans une traversé au dessus de petite barres rocheuses. Déjà, le train des frontales apparaît au fond du valon. Faudra pas traîner, à ce rythme notre avance sera vite grignotés.

Arrivé au col de la Temple, on assiste à un levé de jour magique sur le glacier noir. Nous nous engageons dans la traversée des vires. Il y a encore de la neige en plusieurs endroits, alors nous grimpons crampons au pied. Ce secteur n'oppose pas de grandes difficultés, à condition de rester vigilant sur l'itinéraire et ne pas partir tête baissé dans le premier couloir venu. Finalement, nous arrivons sur le plateau enneigé, nous sommes encore seuls. On remonte les pentes jusqu'au col, et voilà le finish: il nous faut remonter un morceau d'arête mixte jusqu'à l'antécime. En théorie, pas de difficulté, mais le rocher est très médiocre. je me fourvoie côté glacier noir et me voici en mauvaise posture. je fui par une dalle compacte mais solide. Le pas est un cran au dessus du reste, surtout en crampons, alors j'assure le coup et sangle un becquet. Juste à temps, car la corde se tend et voilà mon second qui à les fesses dans le vide : une prise à cassé dans ses mains. Je ne bouge plus, stable sur mes appuis, les sphincters contractés. il repose pied sur le rocher, et je profite du mou retrouvé dans la corde pour passer la corde derrière un second bloc. Je le mouline jusqu'à moi. Nous poursuivons l'ascension jusqu'à l'antécime. On aperçoit nos poursuivant sur le plateau, notre avance est encore conséquente. On décide de traverser jusqu'au vrai sommet, par une courte arête parfois aérienne. Il est 7h00, nous sommes arrivés! Le belvédère est grandiose, il fait bon et nous sommes seul. L'instant est royal. Notre partie de poker s'est avérée gagnante sur toute la ligne.

Nous amorçons à présent la descente. Il nous faut rejoindre l'antécime. Et il me faut vous avertir, c'est à ce moment là que cette belle journée prends un ton bien différent. J'entends une chute de pierre. je n'y prête pas attention, et continue ma route. Je passe la tête sur l'antécime, je suis heureux de rencontrer enfin nos poursuivants et de partager quelques instants avec eux. Il s'agit de deux guides et leurs clients. Mais mon sourire s'efface rapidement, je comprends que quelque chose ne vas pas. Ils sont tous les deux à la radio, leurs clients solidement vachés sur un becquet. je comprends rapidement qu'une cordée a dévissée côté glacier noir.. L'hélico est déjà en route, je m'arrête pour ne pas gêner les secours. Il tourne, les guides se sont élevé sur un rocher surplombant le vide et tentent de le guider vers une tache de couleur qu'ils aperçoivent. J'apprends qu'il ne s'agit pas d'une cordée mais d'une personne seule, qui évoluaient en solo. L'hélico effectue deux rotations, hors de vue, puis fini par repartir. Nous reprenons notre descente, la gorge noué d'une certaine angoisse. Nous n'avons pas assisté à l'accident et n'avons pas croisé la victime, mais avons été mis en difficulté à l'endroit même du drame. Alors on ne peut s'empêcher de se projeter.

On se re-concentre et filons vers le bas. On croise un flot incessant d'alpiniste. De nombreuses cordées me désolent: en Tshirt et sans gant dans la neige, puis plus bas, 3 trailers qui déboulent en marchant. En short, tshirt, basket, pas de piolet et des crampons de randonnée ... Misère ... Couronnons ce passage par la cordée Bidochon : une famille de 6, tous sur la même corde, tirant une longueur dans le début des vires. En chaussure et marche, manips des plus exotiques, et 50m plus bas au col, une femme et deux jeunes qui gueulent "hé Dédé bon vous revenez là, c'est encore long? On a chaud! Vous allez vous tuer! Revenez!" "vous avez croisez le groupe de Dédé? ils sont loin, ils reviennent quand"?

On file au bivouac, on remballe, et nous voici rendu au refuge. Bilan en demi teinte, notre course aura été magnifique et un très bon moment, mais dans une atmosphère un peu lourde sur la fin. Au final, notre format me semble le plus rentable pour ce sommet: monter bivouaquer à la fin de l'approche et partir loin devant la foule des zigotos, c'est top. Le bivouac est grand luxe et ces 600m d'avance pris sur le groupe sont précieux à cette période. Pour l'accident, on apprendra que la personne qui a dévissée a chuté jusqu'au glacier noir, 800m plus bas, et n'a pas survécu. Un rappel qu'en montagne plus encore qu'ailleurs, la frontière est ténue entre instant magique et instant tragique. Même dans une course F plutôt débonnaire, il faut garder une vigilance constante et ne jamais baisser la garde.