24-07-2023
Mont Blanc
ED
Zian
1

Par où commencer… Une pensée aux ouvreurs de 1938 ? De nombreuses tout au long de l’ascension… quelle audace ! Intense, long, froid mais grandiose ? Bien évidemment !

 

Une voie qui paraissait si inaccessible il y a encore peu de temps mais un beau jour le projet commence à s’immiscer dans un coin de ma tête. Une saison passe et je me dis que la prochaine sera peut-être la bonne (ou pas). Arrive la semaine dernière, semaine où toutes les planètes semblent s’aligner : le partenaire, la forme, l’acclimatation, la météo et les conditions sur la montagne… tout colle, il n’y a plus qu’à ! La gardienne me dit que le glacier passe bien (pour combien de temps ?) et que la voie est assez sèche pour être intégralement parcourue en chaussons. Le moment est donc venu d’aller se frotter à cette face. Le jour précédant l’ascension je me sens comme envahi par cette étrange sensation, un mélange de stress et d’appréhension me rappelant mes débuts en montagne. Demain, il faudra partir le couteau entre les ratiches et avec une foi inébranlable pour en découdre face à ce morceau d’histoire.

 

Vendredi nous prenons le train du Montenvers et entamons la montée vers Leschaux, quelque 2h30 d’approche et nous arrivons au refuge peu après 19h. Le quart d’heure de retard ne plaît pas trop à la gardienne et nous sommes accueillis par un « Vous arrivez à plus de 19h pour aller faire les Grandes Jorasses ? ». Expliquant notre situation de jeunes travailleurs dévoués, l’échange sera finalement agréable, la bière savoureuse et le repas délicieux. Deux autres cordées sont également présentes, des taiwanais et des polonais partageant le même objectif que nous et désirant tout autant que nous sortir à la journée. Il y a cependant une petite différence mais pas des moindres : ils ont pris le matériel de bivouac « au cas où » alors que nous avons opté pour l’option « slow & light » avec seulement une doudoune et un sarcophage de survie.

 

Le lendemain, nous quittons le refuge à 2h et remontons le glacier, une fois sur la neige nous récupérons une trace qui nous mènera au pied de l’éperon. Pour ce qui est du glacier, les trous entre lesquels nous serpentons ne font pas sourire et je n’aimerais pas avoir à le remonter par mauvaises conditions. Les polonais sont devant, rejoins par deux copains à eux ayant bivouaqué. Nous les retrouvons à la rimaye au moment de s’équiper. Pas de pentes de neige comme l’indique le topo mais l’on met directement les chaussons à la rimaye. Il fait encore nuit et je me lance au cul des polonais. Leur stratégie est bien différente de la nôtre car ils avancent à 50m en corde tendue et perdent beaucoup de temps, on se dit alors que si on reste derrière eux jusqu’aux difficultés on aura du mal à passer devant et on va clairement exploser l’horaire (on apprendra que les deux cordées ont bivouaquées et sont sorties le lendemain après-midi). Alors je mets un coup de clignotant et me glisse devant eux juste avant les dièdres Allain/Rébuffat. Il faut alors s’employer car c’est certainement un des passages les plus grimpants de la voie mais c’est très court et en bon rocher compact. A froid ça réveille !

Ensuite ça déroule et les passages clés se succèdent : dièdre de 75m, rappel pendulaire puis les dalles noires qu’on a trouvé très impressionnantes et pas si évidentes. L’heure tourne mais le rythme est bon. Après avoir eu bien froid sur les parties précédentes, on retrouve le fil de l’éperon ainsi que le soleil qui nous fait un bien fou. Alternant entre longueurs de 50m et corde tendue, on arrive au pied des cheminées rouges qui est sans aucun doute le passage clé de toute la voie. Présence de glace provoquant des onglées à répétition, rocher pourri, protections précaires… tout y est ! Il faut donc s’employer sur quatre longueurs mentales pour déboucher sous la tour rousse que l’on contourne par une dernière longueur grimpante. Ensuite, on arrive dans du terrain plus facile et tout se fait bien en corde tendue jusqu’au sommet.

21h sonne et l’on passe enfin la tête par-dessus la corniche sommitale. Que d’émotions d’arriver ici à la nuit tombante, 16h après avoir attaqué l’escalade et 19h après avoir quitté le refuge. Toutefois l’aventure n’est pas finie et loin de là : il faut maintenant choisir entre descendre ou dormir dans les rochers sans matos de bivouac. On tente l’option 1 mais visiblement un peu trop cramés pour entamer la descente on se prépare un petit bivouac de fortune dans les rochers.

Cette nuit-là alors que le vent souffle fort et que je n’arrive pas à fermer l’œil, je regarde le ciel par l’interstice de mon sarcophage de survie et je repense immédiatement à cette nuit d’il y a 3 ans, à deux pas d’ici sous la pointe Whymper, un de mes plus beaux bivouacs en montagne avec un certain Bruno N. Ce samedi, il fait nettement plus froid mais le ciel est le même : le plus beau que je garde en souvenir, un plafond d’étoiles et la voie lactée comme je l’ai rarement vue. La magie des grandes Jorasses se répète.

Après deux heures sans dormir au bivouac, le vent et le froid étant devenus insupportables on décide de se mettre en route : direction la vallée. Mine de rien la petite pause nous a fait du bien et l’on repart ragaillardis ! Il nous faudra 6 heures dans la nuit pour rejoindre Boccalatte au petit matin : fatigués mais heureux. On s’octroiera une heure de sieste tant attendue dans le confort du refuge avant de rejoindre Planpincieux.

 

Voilà un projet où il aura fallu essayer de mettre en pratique toutes nos connaissances et ne passer à côté de rien. Que ce soit dans le matos, les manips, la bouffe ou la connaissance de la voie… Chaque petite erreur d’itinéraire coûte cher en temps et en énergie (deux petites erreurs nous ont fait perdre 2h), croisé les topos est indispensable et malgré le nombre important de pitons il est facile de s’égarer tant la face est grande et les variantes nombreuses. Un cocktail grisant et à l’arrivée c’est un rêve qui se réalise.